Un blog créé à l'occasion de la sortie de mon livre Banlieues, insurrection ou ras le bol, pour discuter de ce qui s'est passé en novembre 2005

30 novembre 2006

De lourdes condamnations, mais pour quoi faire?

Le tribunal d'Evreux vient de condamner à de très lourdes peines, de 18 mois à 5 ans de prison ferme, les jeunes arrêtés au lendemain des émeutes de novembre dernier. Des peines plus faibles que celles requises par le procureur qui avait resquis des peines de 3 à 6 ans ferme.

Cette sévérité est malvenue. Elle interroge, d'abord, sur l'étrange conception qu'ont les magistrats de cette ville de la justice.

"Un message doit être adressé à la population qui aspire à la tranquillité", a déclaré le procureur au dernier jour du procès. Les habitants de La Madeleine "veulent vivre en paix" et "ne veulent plus avoir la peur au ventre". Si on le suit, ce sont moins des faits que l'on aurait jugés qu'un message que le tribunal aurait adressé aux habitants du quartier qui n'ont été victimes d'aucune violence, les seules victimes ayant été en la circonstance des policiers. Cela ne veut pas dire que les habitants ne sont victimes d'aucune violence : ils peuvent, notamment, craindre des représailles en cas de dénonciation. Mais ce n'est pas la même chose, et ce ne sont pas forcément les mêmes.

Autre bizarrerie : une des personnes poursuivies a été relaxée parce qu'elle s'était levée pour aller travailler "contrairement, écrit le journaliste du Monde, aux autres prévenus qui ont très peu ou pas du tout travaillé dans leur vie et se réveillaient dans l'après-midi, parfois à 17 heures. "Des habitudes de vie qui ne sont pas en harmonie avec le fonctionnement ordinaire d'une société... Un mode de vie qui mérite qu'on s'attache à le remettre en ordre", selon M. Berkani, le procureur." Là encore, on se gratte la tête. Est-ce vraiment un motif de condamner des gens à des peines de prison? Est-ce à la justice de modifier les habitudes de vie de ces jeunes?

Tout cela fait penser que l'on a condamné des gens tirés au sort. Peut-être ont-ils participé aux émeutes, mais sont-ils coupables des faits les plus violents pour lesquels on les a condamnés? Aucune preuve ne semble en avoir été apportée au tribunal.

On peut également s'interroger sur l'intérêt et l'utilité de ces condamnations. Elles n'auraient de sens que si elles dissuadaient des jeunes de ce quartier ou d'autres de recourir à la violence en groupe pour faire entendre leur colère. Est-ce que ce sera le cas? On peut en douter :

- cela devrait confirmer les jeunes des banlieues dans le sentiment que la justice est à plusieurs vitesses. On parlait autrefois d'une justice de classe, il serait plus juste de parler dans ce cas d'une justice de la peur,

- cela devrait favoriser le développement d'une soidarité des jeunes autour de ces jeunes, solidarité qui pourrait s'exprimer dans de nouvelles violences,

- on se demande, enfin, en quoi ces condamnations vont favoriser le développement de comportements "en harmonie avec le fonctionnement ordinaire d'une société" chez ces jeunes gens.

En fait, ces condamnations excessives, bien trop lourdes font penser à celles que prononçaient les tribunaux au 19ème siècle lorsque l'on parlait de classes dangereuses.

08 novembre 2006

Un an après, mes analyses en vidéo

Dans cette vidéo j'expose quelques unes de mes analyses sur les banlieues un an après les émeutes de novembre 2005 :

07 novembre 2006

Discriminations : la France et les Etats-Unis

Pour ceux qui lisent l'anglais, voici le résumé d'un article un peu ancien (2004) sur lequel je viens de tomber qui compare l'application des textes sur la lutte contre la discrimination en France et aux Etats-Unis. Conclusion de son auteur : la décentralisation américaine et l'appel systématique à la justice a été plus efficace que la centralisation française… Sans doute à lire avec un stylo à la main (ce que je n'ai pas encore fait), mais l'hypothèse mérite qu'on s'y attarde un instant.


Do the Social Sciences Shape Anti-Discrimination Practice? The United States and France

FRANK DOBBIN
Harvard University - Department of Sociology - Comparative Labor Law & Policy Journal, Vol. 23, No. 3, pp. 829-864, Spring 2002 (published February 18, 2004)


Abstract:
Since the passage of the Civil Rights Act in 1964, American employers have installed a host of different anti-discrimination mechanisms. They have built those mechanisms with an eye to changing ideas about discrimination found in the social sciences, at first forbidding explicit discrimination, then tackling structural forms of discrimination by changing personnel systems, and then tackling cognitive sources of discrimination with diversity training and networking programs. France also outlawed employment discrimination, in July of 1972, in legislation that took much the same form as the Civil Rights Act. But in France, employer practice has changed little over time. I argue that state structure has produced two very different outcomes in these two cases. In the American case, state fragmentation and porousness allowed the courts and regional governments to elaborate on the definition of discrimination, and generated an industry of human resources specialists who promoted new anti-discrimination measures based in social science. In the French case, state centralization and insulation discouraged those who would have built upon the foundation of the law of July 1, 1972, because the courts and local governments could not elaborate the definition of discrimination. In consequence, French employment practices were little affected by the law.

Les banlieues, un an après

Une vidéo d'une vingtaine de minutes sur la situaiton des banlieues un an après, sur ce qui a changé, sur ce qui n'a pas changé et sur la spécificité du modèle français.
Pour y accéder, cliquer sur le titre.

06 novembre 2006

Théorie de la mémoire coloniale

Un nombre croissant d'auteurs expliquent les événements liés aux banlieues par des effets de mémoire :

- Sébastien Roché, spécialiste des questions de délinquance, s'interroge sur le rôle de la mémoire des lutte coloniales dans la surreprésentation des Français d'origine immigrée dans la délinquance : "Il est difficile de déterminer les variables pertinentes. La perception des autorités semble importante. Ceux qui ont une image positive de la police et de leur père acceptent plus facilement les normes de la société. Les voyous raisonnent ainsi : « Mon grand-père était face à l'uniforme en Algérie, mon père s'est retrouvé bêtement à l'usine, je suis, moi, face aux policiers. » Plus les jeunes ressentent l'indifférence des pouvoirs publics, plus ils sont impliqués dans la délinquance. A tort ou à raison, il y a une mémoire collective d'un exercice de l'oppression française." (Le Point, 24/06/04) ;

- Bernard Alidières, un géographe, analyse, cartes en mains, le vote Front National dans certaines communes du Nord par la persistance du souvenir des affrontements en mouvements nationalistes algériens à la fin des années 50 (La guerre d'Algérie en France métropolitaine, souvenirs "oubliés", Hérodote, 1er trimestre 2006. Je présente plus en détail ses thèses dans cette chronique radiophonique) ;

- Pierre Tévanian, de son coté, dénonce la gestion coloniale des quartiers.

D'autres soutiennent des thèses voisines qui laissent malgré tout un peu sceptique même si la question de la mémoire se pose (il n'y a pas de raison que l'histoire coloniale de la France soit écrite d'un seul coté seulement alors que notre pays est aujourd'hui peuplé de gens dont les parents et grands parents étaient des deux cotés). Mon scepticisme vient de ce que l'on peut, comme le montrent ces trois exemples, utiliser la métaphore coloniale à un peu toutes les sauces sans qu'elle soit vraiment convaincante quand on entre dans le détail.

On ne voit pas bien comment la mémoire de la colonisaiton conduirait au refus de l'autorité, refus conduisant à la délinquance, aux attaques contre les personnes
comme le suggère Sébastien Roché.

On ne voit pas bien, non plus, en quoi les comportements actuels de la police dans les quartiers ressemblent à ceux d'une armée coloniale.

Que certains jeunes justifient après coup leurs comportements en faisant référence à l'histoire de la colonisation est une chose. Prendre au sérieux ces justifications en est une autre qui mériterait peut-être quelques précautions.

04 novembre 2006

Les banlieues, Borloo et les pavillons

Les projets de relancer la construction pavillonnaire de Jean-Louis Borloo n'ont suscité que peu de réactions. C'est surprenant alors même que l'histoire des banlieues françaises, de ce que l'on appelle aujourd'hui les banlieues, c'est-à-dire les cités massivement habitées par des immigrés ou des Français issus de l'immigration, est étroitement liée à celle du logement individuel et de l'accès à la propriété.

On sait que la France a connu dans les années 50 une formidable crise du logement dont elle a commencé de sortir à la fin des années 60 et au début des années 70 (années Pompidou) par la construction des grands ensembles et de programmes massifs de logements sociaux.

Au début des années 60, ces logements nouveaux sont pour l'essentiel, habités par des Français de souche, venus soit des centres ville où ils étaient mal logés, soit de province ou de la campagne.

Deux événements vont dès la fin des années 60 et tout au long des années 70 contribuer à modifier complètement le panorama :
- le regroupement familial, introduit par Valéry Giscard-d'Estaing en 1974, qui donne aux travailleurs immigrés qui réunissent leurs familles accès aux logements sociaux (ils y ont droit puisqu'ils ont des revenus suffisants et une famille) ;
- le développement des programmes d'accession à la propriété et du logement pavillonnaire symbolisé par le lancement des chanlandonnettes en 1969 et par le succès, dans ces mêmes années 70, des maisons Phenix et autres maisons du maçon (groupe Bouygues).

On assiste alors à une redistribution des populations :
- les immigrés quittent les foyers de célibataires, les meublés, les bidonvilles où ils habitaient et s'installent dans les appartements que libérent ceux qui vont dans les nouveaux lotissements pavillonnaires (il s'agit, souvent, de locataires de logements sociaux dont la situation financière s'est améliorée),
- les mal logés quittent les centres ville, libérant des appartements que leurs propriétaires ont rénové et adressé à une population plus fortunée.

Ces mouvements sont plutôt positifs : les mal logés en centre-ville trouvent des logements plus confortables, les immigrés réunissent leurs familles et s'installent dans des logements confortables, les propriétaires du centre-ville rénovent leurs immeubles. Mais ils se se font au prix d'une nouvelle segmentation de l'espace avec, d'un coté, des quartiers d'immeubles collectifs avec une plus forte population d'origine étrangère, de l'autre des centres ville plus bourgeois et des zones pavillonnaires ethniquement et socialement homogènes.

Cette redistribution des populations s'est faite selon deux grilles :
- une grille administrative pour les logements sociaux (on y a droit si l'on respecte un certain nombre de conditions),
- une grille économique pour les zones pavillonnaires et les centres ville. Il faut pour accéder à la propriété dans les zones pavillonnaires avoir des revenus réguliers (pour rembourser l'emprunt) et un capital (héritage, épargne, vente de bien…) qui permet d'assurer l'apport initial nécessaire pour réduire le montant de l'emprunt. De fait, ce mécanisme a longtemps écarté les immigrés (arrivés sans capital) de l'accès à la propriété. Dans les centres ville, c 'est le montant des loyers et celui du m2 qui effectue le tri entre habitants.

La grille administrative a eu pour effet de favoriser le développement de quartiers ethniquement très hétérogènes, ce qui distingue l'exemple français de ceux d'autres pays et explique que nous ne connaissions ces conflits à caractére raciste que l'on rencontre si souvent là où existent des ghettos ethniques : quand deux bandes de quartiers se bagarrent, elles n'utilisent pas l'argumentaire raciste parce que leurs membres sont d'origines ethniques très différentes.

Les grilles économiques ont, à l'inverse, eu pour effet de maintenir une véritable homogénéité économique dans les quartiers. Souvent, d'ailleurs, voulue par les promoteurs qui visaient explicitement telle ou telle catégorie socio-professionnelle.

Cette partition de l'espace en populations est venue se superposer à un autre mouvement : celui de sa spécialisation fonctionnelle.

On associe en général les grands ensembles à Le Corbusier. Ce qui est injuste comme on s'en rend compte lorsque l'on visite la Cité radieuse qu'il a construite à Marseille. Ce bâtiment splendide, démesuré ressemble beaucoup plus à une ville dans la ville qu'à un grand ensemble. On y trouve des commerces, un hôtel, un restaurant, une école, c'est un véritable espace de vie dans un même bâtiment. Les grands ensembles tels qu'ils se sont développés dans les années 60 sont l'adaptation de ce modèle architectural à un espace spécialisé dans le seul logement du fait du développement, contemporain, d'espaces spécialisés dans le commerce, la production industrielle et administartive.

On l'oublie souvent, mais les grands ensembles sont exactement contemporains des grandes surfaces commerciales conçues pour être efficaces, avec des accés rapides pour les fournisseurs et des parkings tout autour pour attirer le maximum de clients. Ils sont également contemporains des zones industrielles elles aussi conçues de manière à être particulièrement bien adaptées aux besoins des entreprises.

Cette spécialisation de l'espace (logement, courses, travail, cité administrative) mise en place par les urbanistes pour répondre aux attente des acteurs, professionnels de la grande distribution et entreprises, plus que pour satisfaire à une quelconque préférence idéologique, a eu plusieurs conséquences :
- elle a rendu plus difficile l'accès aux zones de travail pour ceux qui étaient installés dans les résidences les plus lointaines (souvent les plus pauvres) ;
- elle a permis d'identifier les quartiers et, donc, éventuellement, de stigmatiser ceux qui venaient des quartiers jugés critiques ;
- elle a supprimé la concurrence sur l'occupation de l'espace public entre ceux qui y travaillent et ceux qui y jouent, entre les adultes et les jeunes. Désertés par les adultes, espaces verts, parkings, couloirs d'immeubles ont été investis par les jeunes qui en ont fait leur territoire dans les grands ensembles, contribuant ainsi à la fuite vers les zones pavillonnaires d'une partie de leurs habitants, puisque dans ces zones ces espaces publics ont été, pour l'essentiel, privatisés.

Ce qui distingue espaces pavillonnaires et grands ensembles est moins le confort des logements (il est identique, les surfaces sont les mêmes), que la distribution des espaces collectifs. Abondants dans les grands ensembles où ils associent espaces ouverts (espaces verts et parkings) et espaces fermés (couloirs, cages d'ascenceur), ils se limitent dans les zones pavillonnaires aux seules rues. Ce qui en modifie complètement la nature. Il est difficile de construire un territoire dans un lotissement de pavillons dont aucun espace public n'échappe au contrôle des voisins et des pouvoirs publics (la police peut circuler librement dans les rues) alors que c'est beaucoup plus facile dans les grands ensembles, tant dans les espaces ouverts que dans les espaces fermés qui échappent tant au regard des voisins (aucune fenêtre ne donne sur les couloirs) que de la police (elle ne patrouille pas dans les couloirs des immeubles).

Mais cet avantage a un coût. Au delà du coût financier (et des difficultés qu'ont rencontrées tant de familles trop endettées), les zones pavillonnaires aggravent la segmentation spatiale, allongent les distances et rendent plus difficile le maillage du territoire par les services publics.

Ce rapide survol de l'histoire de nos banlieues devrait nous inciter à la plus grande prudence quant aux politiques actuellement mises en place qui consistent à casser des grands ensembles, au risque de renvoyer vers des logements plus lointains ou plus médiocres les habitants des barres que l'on détruit et à poursuivre la logique pavillonnaire qui aggrave plutôt qu'elle ne réduit la logique de la spécialisation des espaces.

07 août 2006

Le premier film sur les révoltes des banlieues?

C'est un peu par hasard que je suis tombé sur ce petit film sur les banlieues. C'est un objet étrange qui n'est pas sans talent, en anglais avec des images qui évquent plus les Etats-Unis que la France (sans doute récupérées de quelque jeu vidéo), mais l'ensemble ne manque pas d'allure.

06 juin 2006

Ségolène, ses propositions et les banlieues…

J'ai tourné ma langue (ou plutôt ma plume) plusieurs fois dans l'encrier avant de réagir aux propos de Ségolène Royal. Autant le dire : je l'ai d'autant plus tournée (cette langue ou cette plume, au choix) que j'étais gênée. J'ai plutôt de la sympathie pour sa candidature, pour la manière dont elle est partie seule (ou presque) à l'assaut des éléphants, dont elle tente de les contourner, mais ses propositions ne sont pas de celles qui me seraient spontanément venues à l'esprit (et c'est un euphémisme!).
Je commencerai par ce qu'elle dit des 35 heures, parce que c'est plus facile : sur le fond, elle a raison, elle ne dit que ce que disent depuis longtemps tous ceux qui ont regardé l'impact de la RTT sur les conditions de travail (à commencer par moi-même dans plusieurs interventions publiques) : excellent pour les cadres, bien moins bon pour les ouvriers et pour tous ceux qui travaillent dans des entreprises qui restent ouvertes tard le soir, le samedi ou le dimanche. Dire, pour autant, qu'elle torpille les 35 heures, comme je l'ai lu un peu partout, est absurde.
Assurer, comme l'ont affirmé plusieurs responsables socialistes et UMP, qu'elle fait le jeu de la droite est tout simplement une contre-vérité : la droite veut supprimer les 35 heures parce qu'elles vont contre la liberté des patrons d'organiser comme ils l'entendent le travail dans leurs entreprises. Cela n'a rien à voir avec ce que dit Ségolène Royal qui sonne juste aux oreilles de beaucoup de salariés.
Mais venons-en à ses propos sur la jeunesse délinquante. Je ne partage pas bien évidemment pas ses vues et de loin s'en faut, mais son intervention a fait bouger les lignes et, sans doute, de manière subtile modifié la nature du débat.
Elle a, d'abord, montré que ces propositions (et, au delà, ce qu'elles suggèrent de fermeté à l'égard des délinquants) sont en phase avec l'opinion. Venues d'une politique qui veut gagner une élection présidentielle, elles ne sont donc pas absurdes même si cette opinion (et c'est le défaut des sondages) ne se confond pas avec l'électorat de gauche dont une partie est sans doute soulagée de voir une candidate tenir des propos qui la rassurent, mais une autre partie choquée (horrifiée, scandalisée…).
Il serait, naturellement, intéressant de savoir qui sont ces "choqués".
Laurent Joffrin et, avec lui, beaucoup de journalistes, seront tentés de les identifier à ce qu'il appelle la "gauche caviar" qui, nous a-t-il dit un soir de débat à la télévision, a échangé les ouvriers contre les immigrés (remarque qui en dit long sur l'ignorance de Joffrin. S'il se promenait dans les usines, il saurait que la classe ouvrière est aujourd'hui composée, pour l'essentiel, d'immigrés ou d'enfants d'immigrés qui ont un bac + 2 mais ne trouvent pas de travail ailleurs du fait des discriminations. Voir, par exemple, les effectifs de Peugeot dans son usine de Poissy).
Je crois, et c'est plus embêtant pour Ségolène Royal, que ces "choqués" sont le plus souvent des jeunes. Plus proches des jeunes des cités qu'ils côtoient et connaissent, ils les comprennent mieux et sont plus sensibles que les adultes aux difficultés qu'ils rencontrent et aux excuses qu'ils peuvent avoir. Ses propos "militaristes" pourraient, si elle ne les fait pas évoluer, détourner d'elle une partie de ces électeurs.
Mais j'en viens au fond. Les mieux en mesure de juger de la pertinence de ses propositions sont les parents des enfants menacés de verser dans la délinquance. Ses propositions (ou d'autres similaires) peuvent-elles les aider à les éduquer, à leur éviter le cycle infernal qui conduit à la galère quand ce n'est pas à la prison?
A défaut de sondages qu'on aimerait avoir (que pense-t-on dans les cités, dans les zones qui les entourent de ces propositions?), on peut raisonner. De quoi a besoin une famille dont les enfants sont sur la mauvaise pente? D'au moins trois choses :
- d'informations précoces, de signaux, de mise en garde : "Attention, il file un mauvais coton!" Les familles en ont d'autant plus besoin qu'elles sont souvent les dernières informées. Résultat, elles tombent des nues lorsque leur gamin est mis en difficulté ;
- de solutions entre lequelles choisir pour tenter de régler le problème. Aujourd'hui, on ne propose le plus souvent aux enfants en difficultés que l'intervention d'un psychologue. Ce n'est pas suffisant et surtout pas très efficace : les enfants apprennent vite à manipuler les psychologues et à s'en faire des alliés contre leur famille et les institutions ;
- de soutiens qui les aident dans ces périodes difficiles pour celles qui hésitent sur les conduites à tenir.
Les solutions que propose Ségolène Royal ne sont certainement pas à la hauteur. Si j'étais méchant, je dirais qu'elle a remis au goût du jour la très vieille menace maternelle : "Si tu ne travailles pas à l'école, nous t'enverrons en pension!" Menace dont tous les enfants savent qu'elle a peu de chance d'être mise à exécution. Ce qui les autorise à ne pas en tenir compte.
Je disais que les déclarations de Ségolène Royal ont fait bouger les lignes. Il serait maintenant temps qu'à gauche on s'en saisisse pour proposer des solutions qui ne soient pas celles, caricaturales, de l'internat militaire.

31 mai 2006

Etrange France

Je lis un roman policier, plutôt bon, d'un auteur (une auteur, devrais-je dire) irsraélien, Batya Gour (son titre pour ceux que cela intéresserait : Meurtre sur la route de Bethléem, dans la collection Folio policier). Un des personnages est un juif marocain. Deux autres personnages parlent de lui, je cite : "C'est une ancienne maison arabe à laquelle on a ajouté deux étages, ce qui l'a complètement défigurée. Elle appartient à un Français. Enfin… Français comme moi je suis français. Il vient du sud de la France, pour reprendre la formule consacrée, c'est-à-dire du Maroc…" C'est tellement plus agréable de lire cela que d'entendre les xénophobes pester contre les étrangers!

16 mai 2006

Un sondage, un fait divers…

La presse, la radio ne parlent ce matin que du braquage d'un conseil municipal par deux olibrius qui voulaient obtenir des billets pour le match de ce soir. S'ils n'avaient menacé les malheureux élus avec des pistolets, on en sourirait.
Mais il y a dans le Parisien, ce matin, une autre information qui aurait également mérité de faire la une (elle l'a fait d'ailleurs dans le Parisien) : selon une étude CSA réalisée dans le Val d'Oise :
- 78% des personnes interrogées pensent que les discriminations sont un problème dans le département,
- 69% que la diversité de la population est une bonne chose dans la vie quotidienne,
- 65% pensent que les étrangers peuvent s'intégrer facilement.
Ce sondage le confirment : ce sont ceux qui vivent en bordure des quartiers à forte proportion d'immigrés qui voient la vie en noir et votent Front National. Ceux qui vivent dans les quartiers ont une vision plus cool, plus réaliste, plus raisonnable et plus encourageante des choses. Rassurant!

En France, tout finit en chansons…

En écoutant le CD de C7H16, j'ai pensé à cette formule "en France, tout finit en chansons". Elle m'a paru, un instant, bien adaptée à la situation des banlieues.
Lorsque l'on dit que tout finit en chanson, on veut en général dire que l'on ne prend rien au sérieux. Mais, ce n'est pas en ce sens que je l'entends ici. Finit en chansons ce qui ne trouve pas d'issue politique, ce qui ne fait pas l'objet d'un consensus de la société sur un diagnostic. La chanson est une manière :
- de garder la mémoire des événements,
- de partager les émotions des acteurs sans cependant participer directement aux événements (le ton, le style colérique de ces textes, de ces chansons est une manière de rejouer la révolte sans que cela porte à conséquences, ce ne sont que des mots),
- de porter témoignage des situations ou événements qui ont conduit à ces émeutes.
La chanson est une manière pour l'intelligence collective, pour le peuple de construire son histoire à défaut d'autres moyens. C'est pour cela qu'elle est importante

Une revue, un disque

J'ai recu hier une revue avec un disque, G la rage, réalisé par des jeunes des banlieues qui tentent d'exprimer, de mettre en mots et en musique les émeutes de novembre. Cela décoiffe, surprend, met parfois mal à l'aise, inquiète et séduit (il y a une belle formule : "ce qu'ils appellent la France d'en bas, je l'appelle souffrance").
Le plus surprenant est sans doute qu'ils ne tentent aucune analyse politique, qu'ils mettent tout cela en mots et musique, un peu comme on mettait autrefois en chansons les révoltes, comme les noirs américains ont mêlé révolte culturelle et révoltes dans la rue.
Tout est disponible sur internet à l'adresse ci-dessous. Il faut y aller, lire et écouter.
C7H16 G la rage et je la garde

12 mai 2006

Google, les émeutes, le CPE

Google vient de mettre à disposition des internautes un outil (Googletrend) qui permet de suivre les interrogations. Cet outil ne donne pas de chiffres, mais il indique des tendances, ce qui n'est pas rien.
Il donne également des informations sur les langues utilisées et sur les régions et villes qui ont le plus posé de questions avec tel ou tel mot.
J'ai fait une recherche sur "mai 1968" qui est assez éclairante. Elle montre que le CPE rappelait plus 1968 aux internautes que les émeutes de novembre. Ce qui n'est pas très surprenant. D'un coté des étudiants, de l'autre des exclus du système scolaire. Mais elle donne également un classement des villes qui ont le plus interrogé à partir de ces deux mots. Or, la première sur la liste est… Aubervilliers. Ce qui étonne. Faut-il comprendre que les gens d'Aubervilliers, plus proches des émeutes et des émeutiers que le reste des internautes, ont plus volontiers fait le rapprochement? Les statistiques de Google ne permettent pas d'approfondir. Derrière viennent des villes universitaires, ce qui est plus classique. On remarquera, cependant, que Paris n'arrive qu'en dixième position. Ce qui surprend.

25 avril 2006

Le "nouveau" discours de Sarkozy va-t-il relancer les troubles dans les banlieues?

On connaissait les déclarations de Nicolas Sarkozy sur le karcher qui avaient fortement contribué à exapérer les cités à la veille des émeutes au point qu'on a pu en voir un facteurs déclenchants. Voilà qu'il recommence devant les militants UMP dans la même veine populiste avec des phrases à l'emporte-pièce qui ne peuvent qu'exaspérer les plus calmes : "S'il y en a que cela gêne d'être en France, qu'ils ne se gênent pas pour quitter un pays qu'ils n'aiment pas (…). On ne peut pas demander à un pays de changer ses lois, ses habitudes, ses coutumes tout simplement parce qu'elles ne plaisent pas à une infime minorité." Ou encore : "On en a plus qu'assez d'avoir le sentiment d'être obligé de s'excuser d'être français."
Comme on ne peut le coupçonner de vouloir mettre le feu aux poudres (après tout il est toujours ministre de l'intérieur et serait en première ligne en cas de trouble, ce qui est toujours dangereux), on ne peut que s'interroger sur leur sens et leur opportunité dans le contexte, quelques mois seulement après le soulévement des banlieues et la révolte des jeunes contre le CPE.
Veut-il reprendre la main, redevenir cet homme de fer qu'il aimerait être aux yeux des électeurs de droite après l'épisode CPE qui l'a montré plus conciliant que le Premier Ministre, comme l'expliquent les journalistes?
Veut-il, comme il le dit, aller chercher les électeurs du Front National l'un après l'autre?
L'un et l'autre, sans doute. Mais à remettre ainsi une nouvelle fois dans l'actualité les questions d'immigration ne voit-il donc pas qu'il prend un triple risque :
- celui, d'abord, de remettre au centre du jeu l'extrême-droite dont c'est le seul cheval de bataille? et qui mieux que Le Pen peut défendre cette thématique? qui est le plus légitime dans cette veine populiste ;
- celui d'éloigner les électeurs modérés qui avaient apprécié son attitude pendant la bataille du CPE (je pense aux électeurs de l'UDF) ;
- celui, enfin, d'exaspérer les enfants de cette immigration qui savent trop combien ils sont les premières victimes de toutes ces déclarations à l'emporte-pièce sur la nationalité (c'est à ceux que d'adresse en priorité ces "aime la France ou quitte là" de l'extrême-droite dont s'inspire) et, avec eux, cette "bourgeoisie" issue de l'immigration qui sait combien ces discours contre l'immigration renforcent les discriminations.
Nicolas Sarkozy est, sans doute, victime de sa stratégie de la segmentation de la population en communautés. Il a un discours pour les millitants de l'UMP, un autre pour les juifs, un troisième pour les musulmans… C'est une stratégie qui a réussi aux Etats-Unis à de nombreux candidats. En France, elle risque d'avoir d'autres conséquences.

Et si les banlieues se levaient contre les projets de Nicolas Sarkozy en matière d'immigration

Ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis pourrait nous servir d'exemple. Je résume : la chambre des députés vote un texte très répressif qui prévoit le renforcement de la lutte contre l'immigration clandestine et de nouvelles mesures contre les clandestins (pour en savoir plus, voir ma chronique sur le sujet). Des manifestations sont organisées dans tout le pays, y compris dans les plus petites villes,, manifestations auxquelles participent les immigrés clandestins, mais aussi ceux qui ont des papiers et leurs enfants qui ont acquis la nationalité américaine. Résultat : le Président Bush invite les plus extrémistes de ses amis au calme (lui-même étant en la matière depuis le début plutôt modéré sur le sujet.
Pourquoi ne ferait-on pas la même chose en France. A l'occasion des émeutes de novembre, on a vu émerger un début de "conscience de classe" (pardon pour le vocabulaire qui n'est pas très approprié) chez les enfants de l'immigration. On a vu les élites issues de l'immigration se plaindre des discriminations dont elles sont victimes et des vedettes appeler les jeunes à voter. Pourquoi ne pas relancer ce mouvement contre les projets de Nicoals Sarkozy, avec deux idées clefs :
- l'immigration est bonne pour la France : nous en sommes la meilleure preuve,
- s'en prendre aux immigrés clandestins, ce n'est pas seulement faire preuve de xénophobie, c'est également s'en prendre à toute une partie de la France et notamment de sa jeunesse.
On pourrait descendre dans la rue et chanter : "Nous sommes tous des clandestins"

29 mars 2006

EHESS, suite

Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur l'occupation de l'EHESS, je recommande le site d'André Gunthert qui travaille lui aussi à la EHESS et qui complète très utilement l'information que je donne ici.
Actualités de la recherche en histoire visuelle

28 mars 2006

Occupation de l'EHESS : deux témoignages… hallucinants

J'ai reçu ce matin sur AligreFM, radio à laquelle je collabore réguolièrement, deux chercheurs de l'EHESS qui ont assisté à l'occupation des locaux. Ce qu'ils disent est… tout simplement hallucinant.
Pour qui veut les écouter, j'ai mis cet entretien sur internet à cette adresse ou à celle-cimais voici en résumé ce qu'ils m'ont expliqué :
- à l'occasion d'une assemblée générale sur le CPE organisée par les étudiants, un certain nombre d'individus (quelques étudiants, des autonomes armés de battes de fer et de jeunes (voire très jeunes) casseurs pénètrent dans l'établissement du boulevard Raspail dont ils organisent l'occupation,
- au vu des premières dégradations, la directrice de l'EHESS avertit la police dont elle demande l'intervention. La police refuse d'intervenir mais lui conseille de faire appel à une société de sécurité privée dont ses interlocuteurs lui donnent l'adresse,
- l'EHESS fait appel à cette société qui lui coûte 11 000€ par jour, à financer directement sur ses propres budgets. La présence de ces vigiles évite que l'occupation s'étende à d'autres locaux ;
- les dégradations se poursuivant dans le local de l'EHESS, sa directrice sollicite de nouveau la police puis s'adresse au Président de l'Assemblée Nationale ainsi qu'à la presse qui en parle ;
- lorsque la décision est enfin prise de "libérer" les locaux, ce ne sont pas les CRS qui entrent en premier dans le bâtiment, MAIS des vigiles!
Tout cela fait s'interroger sur le rôle de la police et des pouvoirs publics. Ont-ils décidé de privatiser les travaux de police qui présentent un risque? Ont-ils voulu créer un abcès de fixation loin de la Sorbonne et de l'attention des médias? Quelles relations le ministère entretient-il avec cette société? Quel est son rôle dans le dispositif de la sécurité? Quelle que soit l'explication, il s'est passé là quelque chose de grave.

27 mars 2006

Non, ce n'est pas un Rauschenberg


On trouve ci-dessous une intéressante série de photos sur la Maison des Sciences de l'homme après son occupation :
gunthert's 105, bd Raspail slideshow on Flickr
Ces images sont parlantes. Elles nous montrent que les occuppants n'étaient pas sans culture (ce qui ne veut pas dire qu'ils pensaient beaucoup). Il y a des allusions aux slogans de 68 mélés à retour à l'enfance (Vive le caca), une prédilection pour les jeux de mots et ici ou là des réminiscences de l'art américain des années 60, comme sur cette image qui nous montre des objets scotchés sur le mur à la Rauschenberg. Avec, naturellement, beaucoup d'alcool.
C'est plus la culture des squats que celle des banlieues.

La Maison des Sciences de l'Homme en squatt

Un témoignage de première main sur l'état des lieux à la Maison des Sciences de l'homme pà la suite de son occupation :
Etat des lieux après occupation - Actualités de la recherche en histoire visuelle
A sa lecture, on s'interroge : on comprend la volonté de l'auteur de dédouaner les occupants (si la police était intervenue plus tôt…), mais dans l'hypothèse où il aurait raison (une intervention plus rapide de la police…) comment interpréter cette appropriation "sauvage" des lieux avec graffitis, accumulation d'ordures et récupération de ressources locales? Quel ethnologue nous dira comment interpréter cette manière d'occuper l'espace qui s'inscrit manifestement dans la lignée des squats, voire, peut-êttre, dans celle de ces artistes qui graffitaient les lieux dans lesquels ils vivaient (petit hôtel du coté de la rue Saint-André des Arts où habitaient les poètes de la beat generation…).

25 mars 2006

Mais non, la réforme n'est pas impossible en France!

On voit depuis quelques jours régulièrement à la télévision Jacques Marseille qui vient de sortir un livre qui, une nouvelle fois, assure que la France ne peut pas se réformer, mais seulement évoluer par ruptures successives. L'idée est usée jusqu'à la corde et tout simplement fausse. Il suffit pour en juger de se rappeler de la manière dont en quelques mois la France a organisé une réduction du temps de travail historique. Toutes les entreprises de plus de 20 salariés ont modifié leurs réglements, leurs méthodes, leurs manières de faire. Toutes ont négocié avec des partenaires sociaux (qui n'existaient pas toujours et qu'il a fallu "créer") des accords nouveaux. Si ce n'est pas une réforme, je ne sais pas ce qui peut en être une. A moins que l'on entende exclusivement par réforme un recul social. Auquel cas, il est vrai que les Français résisteraient mieux que d'autres.
En fait, la France peut parfaitement se réformer. Elle l'a fait à plusieurs reprises, de manière publique, comme dans le cas des 35 heures, de manière plus discrète en d'autres circonstances. Mais pour qu'une réforme réussisse, il faut quelques éléments :
- de la détermination des pouvoirs publics,
- un donnant-donnant qui permette à chacun de se retrouver,
- une place laissée à la négociation entre les corps intermédiaires (syndicats, employeurs…).
Il n'y a dans le CPE que de la détermination. Comme elle est partagée par les deux parties, cela ne peut mener qu'au conflit.

Violences ou la puissance du négatif

La télévision nous a, hier, montré le visage défait d'un chercheur à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, absolument abasourdi par la violence des jeunes gens qui ont occupé l'établissement dans lequel il travaille tous les jours. Phiolosophe de formation, et sembel-t-il de métier, ce chercheur était totalement désemparé devant une expression réelle du nihilisme qu'il fréquente professionnellement dans les livres.
Il y avait pourtant là une illustration de la puissance du négatif, de ce néant, de ce "pur néant" dont parle Hegel au début de la Science de la logique : "Néant, le pur néant : c'est la simple égalité avec soi-même, le vide parfait, l'absence de détermination et de contenu ; l'indifférenciation au sein de lui-même. Pour autant qu'il puisse être question içi de contemplation ou de pensée, c'est seulement au point de vue de la différence qu'il y a entre penser quelque chose et penser ou contempler rien…"
Plus loin, Hegel explique que penser rien a une signification puisque nous le ditinguons de penser quelque chose.
On ne sait rien des jeunes gens qui ont occupé l'Ecole des Hautes Etudes. Qui sont-ils? Pourquoi s'être installé dans ce lieu si discret, que personne, sinon des universitaires de haut niveau, ne connaît? L'intrusion de la pensée du rien ou plutôt du rien de la pensée dans le temple de l'intelligence a quelque chose d'aussi radicalement nouveau pour la conscience intellectuelle que l'arrivée des barbares dans Rome. Il ne s'agit pas comme dans les émeutes américaines de piller des magasins, de voler de la nourriture ou des vêtements, pas même de voler des ordinateurs pour les revendre (ce qui aurait, au moins, du sens), mais de détruire le travail de ceux qui font profession de comprendre. Un travail tellement éloigné de ce que connaissent ceux qui ont tout cassé que l'on ne peut pas les soupçonner de la moindre envie (celui qui pille un magasin a envie de ce qui s'y trouve et s'il gaspille, détruit l'essentiel de ce qu'il pille du moins en consomme-t-il une partie).
Violence inquiétante qu'on aimerait pouvoir épingler, qualifier, nommer.

Ownership Status Matters: Call Centers, Employment Systems, and Turnover

Les avocats du CPE disent que les entreprises ne recrutent pas des salariés pour les licencier aussitôt.
C'est sans doute un peu plus compliqué que cela comme le suggère cette étude de Rosemary Batt sur les call-centers américains :
Ownership Status Matters: Call Centers, Employment Systems, and Turnover

Dans cette étude courte (et facile à lire), elle compare les comportements en matière de ressources humaines (salaires, formation, nature des contrats, turn-over) de trois types d'organisations :
- les call-centers intégrés dans les entreprises,
- les call-centers qui travaillent comme sous-traitants pour les entreprises,
- et les call-centers installés à l'étranger (en Inde…).

Ses conclusions sont sans appel : les comportements sont très différents. Les turn-over sont plus faibles, les salaires et la qualification plus élevés dans les call-centers intégrés. Les écarts sont, ajoute-t-elle, significatifs.

On en retiendra cette idée simple : s'il est vrai qu'il y a des situations, des stratégies qui incitent les employeurs à conserver les salariés qu'ils ont recrutés et formés, on aurait tort de généraliser. Il y a des situations, des positions de marché qui poussent à l'inverse à organiser le turn-over des salariés, même de ceux que l'on a rapidement formés.

Tout dépend sans doute de la situation concurrentielle et de la durée des formations. Les entreprises qui doivent se battre en permanence sur leurs prix et qui n'ont pas besoin de compétences très élevées n'hésiteront pas à se séparer de leurs salariés et à organiser le turn-over des CNE et CPE, si cela leur permet tout à la fois de réduire les coûts (se séparer au bout de quelques mois d'un salarié permet de ne pas l'augmenter) et d'accompagner les fluctuations de leur activité.

A l'inverse, les entreprises qui fonctionnent sur des marchés protégés de la concurrence et qui font appel à des compétences qui demandent une longue formation hésiteront à se séparer de salariés qui leur ont coûté cher.

Les casseurs ont apprivoisé la précarité

Il y a, au delà de l'utilisation de la violence, une différence de fond entre les anti-CPE et les jeunes casseurs (ou jeunes des banlieues ou jeunes sortis du système scolaire sans diplômes… on ne sait comment les appeler). Les anti-CPE ne veulent pas d'une précarité qu'ils craignent. Les jeunes casseurs se sont accomodés d'une situation qui leur permet d'alterner périodes de travail et périodes d'inactivité (voire demain, grâce au CPE, de chômage rémunéré).
Les plus agés ont apprivoisé la précarité qui leur permet d'avoir un peu d'argent tout en prolongeant leur adolescence (vie de célibataire, logement chez les parents, consommation de produits marques qui ne sont pas tous pillés). Le chiffre de 40% de chômage qui frappe cette jeunesse est trompeur. Il n'y a pas 40% de jeunes qui n'ont jamais travaillé, mais en permanence un volant de 40% de ces jeunes entre deux jobs, deux missions d'intérim… On dit que le CPE va les aider à s'insérer dans le monde du travail. Je crains, qu'à l'inverse, il les enferme un peu plus dans cette précarité acceptée.

24 mars 2006

Les jeunes des banlieues et la flexibilité

On dit que le CPE a été conçu pour les jeunes des banlieues qui ne trouvent pas de travail, les employeurs se méfiant de jeunes qui n'ont pas de diplôme. Mais lorsque l'on se promène dans la rue dans Paris, on voit beaucoup de ces jeunes tenir des emplois sans qualification (livreurs, nettoyage, gardiennage, petits emplois du bâtiment…). Les employeurs recrutent donc!
Ces jeunes se sont en réalité souvent adaptés à la flexibilité : quelques jours ou quelques semaines de travail (intérim, CDD, stages…) suivis de périodes de loisir. Ce qui ne favorise évidemment pas l'acquisition de compétences.
Je me demande si le CPE avec ces possibilités d'accès plus rapide aux indemnités chômage ne va pas favoriser ces comportements de "promeneur", de "dilettante" qui sont, on l'oublie trop, une vieille tradition ouvrière : toute la littérature industrielle du 19ème siècle ne parle que de la difficulté qu'ont les patrons de stabiliser leurs ouvriers (voir là-dessus mon livre sur les théories du management au 19ème siècle sur mon site).

CNE, CPE : le point de vue de deux économistes

A lire : l'article de Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo, deux économistes, spécialistes des questions du travail, sur les effets que l'on peut attendre du CNE qui viennent d'être publiés dans
PolitiquesSociales.net - Les politiques sociales à l'épreuve de la mondialisation
Qu'en retenir? Ils concluent qu'appliqué à l'ensemble de l'économie (et non plus seulement aux entreprises de moins de 20 salariés) le CNE pourrait, d'après leurs calculs, créer à terme 100 000 emplois, ce qui correspond à augmentation du taux d'emploi de 0,35% . Appliqué aux seules PME de moins de 20 salariés, comme c'est actuellement le cas, il permettrait de créer, selon les hypothèses retenues, de 35 000 à 70 000 emplois supplémentaires (à titre de comparaison, on considére que les 35 heures ont créé de 300 à 400 000 emplois directs).
Ils ajoutent que ce type de contrat a un impact négatif sur le bien-être des salariés (plus d'incertitude, plus de difficultés à trouver un logement, un emprunt…) qu'ils évaluent à 0,47% du revenu. Cette dégradation du bien-être des salariés devrait entraîner une diminution du taux d'activité. La population active pourrait, toujours d'après leurs calculs, diminuer de 20 000 personnes, ce qui pourrait, ajoutent-ils, augmenter les difficultés d'embauche des entreprises (du fait de la diminution du nombre de candidats).
Ils ajoutent, ce qui pourrait inquiéter les salariés, que la réforme a d'autant plus de chances de créer des emplois que les entreprise ont plus besoin de flexibilité.
Ils concluent qu'il serait plus efficace de réduire la complexité de la procédure de licenciement et de l'accompagner d'une amélioration des indemnités des salariés licenciés. Ce qui est une thèse qu'ils ont défendue dans plusieurs autres papiers.
La qualité de leur prédiction dépend naturellement de la validité de leur modèle. J'imagine qu'on peut le contester.

Les deux modèles d'intégration

On a depuis quelques mois tendance en France à rêver du modèle communautaire à l'anglo-saxonne (on le trouve aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne mais aussi aux Pays-Bas et, pour partie, en Allemagne) que l'on oppose au modèle d'intégration à la française. Il serait, nous dit-on, plus efficace et mieux adapté. Voire…

Ce modèle communautaire conduit à créer des quartiers homogènes : pakistanais, turcs, chinois, vietnamiens… comme on en voit dans les villes britanniques et américaines. Il favorise le maintien de la langue et des traditions et autorise le développement d'institutions communautaires qui sont en général de deux types :
- institutions politiques (responsables d'associations, autorités religieuses) qui peuvent dialoguer avec les pouvoirs publics qui souvent leur délèguent une partie de leurs missions ;
- armées privées que les communautés développent pour se protéger des intrusions étrangères et pour élargir leur territoire lorsque nécessaire. Ces armées se financent en général par le racket sur la population qu'elles sont censées protéger et par des activités illégales. La mafia italienne est l'exemple même de ces armées privées.

Ce modèle autorise la délégation de gestion, il assure éventuellement une certaine discipline dans les quartiers (les mafias jouent parfois ce rôle), mais il favorise également les conflits intercommunautaires et le racisme. Ce n'est sans doute pas un hasard s'il ne se passe pas de semaine sans que la presse britannique ne fasse état de crimes de haine, racistes…

Nous avons choisi en France un tout autre modèle qui mélange les gens d'origine les plus différentes. On trouve dans les mêmes barres d'immeubles jusqu'à 30 ou 40 nationalités différentes. Ce choix (mais faut-il parler de choix?) tient à des motifs complexes liés à notre histoire, au droit du sol, à la qualité des services publics (qui rend inutiles des services privés et rend plus difficile le développement d'institutions communautaires), à l'existence, dans Paris et la région parisienne, de quartiers qui depuis des décennies reçoivent les immigrants, d'abord de l'intérieur puis de l'extérieur. Reste que ce modèle conduit à des modes d'intégration complètement différents avec des problèmes qui le sont également.

Dans les systèmes communautaires, les jeunes restent éduqués dans la culture de leurs parents. Si conflits il y a entre la culture de leurs parents et celle de la société d'accueil, ils sont tardifs. Dans notre système, les jeunes sont dès leur plus jeune âge confrontés à des systèmes éducatifs différents, ils peuvent jouer de ces différences pour prendre de la liberté. Ils sont très tôt, bien plus tôt que les enfants élevés dans des milieux homogènes, amenés à choisir entre différentes options (faire ses devoirs/jouer avec ses camarades ; parler bien/parler mal…). Ce système a des avantages : il évite les confits interraciaux, les bandes ethniques qui n'existent pratiquement pas chez nous, il freine (ou interdit) la création de ces armées privées qui se transforment rapidement en mafias. Mais il force les enfants à faire très vite des choix difficiles. Et pour ceux qui ne font pas les bons choix… c'est la galère, l'exclusion scolaire et de grandes difficultés, surtout lorsque le monde du travail n'est pas là pour repêcher ceux qui, l'âge venant, tentent de se poser.

Ces deux modèles sont tellement différents que l'on ne voit pas comment on pourrait rapidement passer de l'un à l'autre. On peut parler, rêver de communautés, c'est ce que fait Sarkozy, mais il y a peu de chances qu'on aboutisse. Le mélange de populations rend très improbable la création d'institutions auxquelles les pouvoirs publics pourraient déléguer une partie de leurs missions. Si solution il y a, il faut la chercher au coeur même de notre modèle et non en cherchant à importer artificiellement ce qui ne marche pas forcément très bien ailleurs.

Un site sur le CPE

Je voudrais signaler à ceux que cela intéresse un excellent sur l'actualité du CPE L'actualité du CPE

Casseurs & anti-CPE, pas vraiment même combat

On devine chez beaucoup de commentateurs la tentation de rapprocher les manifestations anti-CPE d'aujourd'hui du mouvement des banlieues de novembre dernier. Le sociologue François Dubet parlait il y a quelques jours de réplique. Ces mouvements se font naturellement sur même fond de chômage, de fin de règne d'un pouvoir dont les modes de prise de décision ne sont plus adaptés. Mais les confondre serait une erreur. Ces deux mouvements obéissent à des logiques différentes.
Le mouvement des étudiants et lycéens a des objectifs, des porte-parole, en un mot une approche politique de la situation. La révolte des banlieues se situait dans une logique différente : sans revendications ni leaders, les jeunes de novembre dernier, ceux de ces jours-ci ne manifestent pas, ils se battent, agressent les manifestants, les policiers, mettent le feu à des voitures. Ils n'ont aucune revendication affichée, aucun leader ni porte-parole et pas d'autre ambition que de multiplier les "exploits" (pavé lancé sur un flic, vitrine brisée, téléphone portable volé…).
Comme je le disais dans un précépent post, ces deux mouvements peuvent se soutenir mutuellement : la crainte d'une nouvelle explosion des banlieues peut amener les pouvoirs publics à reculer sur le CPE (c'est, en tout cas, ce que demandent les Présidents d'universités et les proviseurs) ; la crainte d'une bavure qui frapperait un lycéen peut inciter les policiers à agir avec mesure contre les casseurs. Mais ils sont très différents. Et doivent être traités à part.
Le problème des jeunes de banlieue est, pour l'essentiel, lié à l'exclusion scolaire, à l'incapacité du système scolaire à insérer une partie de la jeunesse pauvre dans un parcours qui leur permette d'envisager avec un peu de bon sens les risques qu'ils prennent en s'en prenant à des vitrines, à des policiers, à d'autres jeunes…
Celui des anti-CPE est lié au marché du travail, à l'incapacité du monde économique à accueillir dans des conditions acceptables les jeunes sortis du système scolaire.

Essayer le CPE? drôle d'argument!

L'argument que développent le plus souvent les partisans du CPE, est, je cite un de mes lecteurs : "Par ailleurs les autres contrats (cdi, cdd) demeurent alors testons le CPE d'autant plus qu'en contrepartie de cette période de flexibilité pour l'entreprise (qui n'a notons le aucun intérêt à licencier tous les 10 jours !!!!) le droit au chômage est possible dès le 4e mois et le droit à la formation dès le 1er mois. " En d'autres mots : on n'a pas grand chose à perdre!
Ce qui est une étrange manière de raisonner.
Si le CPE était véritablement un produit convaincant, ses avocats trouveraient de meilleurs arguments que celui-ci qui sent sa dernière chance et rappelle ceux de ces malades en fin de vie qui se disent : je peux essayer ce traitement, puisque je suis de toutes manières condamné, cela ne peut pas être pire…

En fait, les avocats du CPE pourraient en développer un plus convaincant. Ils pourraient dire : les obstacles au licenciement freinent les recrutements, en les supprimant on réduira chômage. Mais cet argument (contestable, mais c'est une autre affaire) vaut pour tout le monde, pour les jeunes diplômés et pour ceux qui sont sortis du système scolaire sans rien, pour les jeunes et les vieux. Le soutenir serait donc annoncer la suppression de tout ou partie des obstacles au licenciement pour tous les salariés, ce qui serait susciter une colère généralisée que le gouvernement ne peut se permettre à quelques mois d'une élection présidentielle.

J'ajouterai, chose peu signalée, que cet accès au chômage dés le quatrième mois que l'on nous présente comme une avancée significative est étrange et probablement contre-productive. C'est comme si l'on affichait qu'accéder au monde du travail, c'est accéder au droit au chômage! Ce qui n'est pas forcément faux, mais tout de même. Comment veut-on convaincre les jeunes de la bonne foi des entreprises et de la fin de la précarité en leur promettant des allocations chômage?

23 mars 2006

Les banlieues au secours des anti-CPE?

Lorsque l'on se bat, on tente en général de consttruire un rapport de forces qui vous est favorable. Dans le cas du CPE, on voit se dessiner une configuration toute différente et originale : les jeunes casseurs des banlieues viennent au secours des jeunes qui luttent contre le CPE, non pas en unissant leurs forces à celles des étudiants et lycéens, mais au contraire, en se comportant en casseurs, en s'opposant à un mouvement que tous ses animateurs et acteurs (lycéens, étudiants…) veulent non-violents (et à juste titre : en casser des vitrines ou mettre le feu à des voitures peut-il aider à faire reculer le gouvernement?). D'ordinaire les gouvernements utilisent les casseurs pour déconsidérer leurs opposants. Cette fois-ci, ce n'est pas le cas. Sans doute parce que Nicolas Sarkozy qui a senti le danger de voir toute la jeunesse se détourner de lui au moment des élections présidentielles a choisi de faire la disinction. Sans doute aussi parce que l'Education Nationale (les recteurs, les proviseurs) qui est en ces matières en première ligne est saisie d'une espèce de peur panique (on ferme des lycées de crainte d'incidents là où la probabilité d'incidents est très faible).
On peut donc penser que le gouvernement ne va pas (au moins officiellement) céder à la pression de la rue, mais à la crainte de voir revenir les émeutes, de voir se développer des violences à la porte des lycées entre jeunes anti-CPE sages et vilains casseurs des banlieues. On nous expliquera que c'est pour assurer l'ordre public, pour éviter que les banlieues ne s'enflamment à nouveau qu'il va retirer son projet ou le vider de tout contenu.

16 mars 2006

Les banlieues et le CPE

Les avocats du CPE que la montée de la contestation étudiante met sur la défensive tentent de distinguer étudiants et jeunes sans qualification. Le CPE ne concerne pas vraiment les premiers, disent-ils, mais plutôt les seconds qu'il devrait aider à entrer sur le marché du travail.
Ces arguments ne font pas l'unanimité dans les banlieues si l'on en juge parce qu'en disent les jeunes interrogés ce matin (édition du 16 mars) par Libération. "A la Mission locale pour l'emploi d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), où 75 % des gens ont «au maximum un niveau BEP», le CPE c'est d'abord du charabia" écrit Didier Arnaud. On le devine aisément, mais qu'en est-il vraiment? Le CPE peut-il aider les jeunes sans qualifications à trouver un emploi? La question mérite d'être examinée d'un peu plus près. D'autant qu'on le sait, le chômage touche 40% de ces jeunes.
L'argument des avocats du CPE est qu'au fond, les entreprises qui recrutent des diplômés prennent le temps, dépensent de l'argent pour trouver les meilleurs candidats et n'ont, du coup, aucun intérêt à leur proposer un contrat qui n'est pas très avantageux. C'est sans doute vrai pour les diplômes rares, pour les élèves qui sortent des meilleures écoles d'ingénieur ou de commerce, l'est-ce pour ceux qui ont des bacs + 4 dont personne ne veut vraiment? Ce serait à vérifier. Mais on peut douter que les patrons qui ont en face d'eux des candidats qui rament depuis des mois pour trouver un emploi se privent des facilités que ce nouveau contrat leur donne.
Les avocats du CPE sont plus discrets sur les mécanismes qui pourraient en faire un outil pour redonner de l'emploi aux jeunes sans qualifications. C'est dommage. Parce qu'il serait intéressant de comprendre. L'idée derrière le CPE est que les entreprises ne recrutent pas de crainte de ne pouvoir licencier. Or, cette crainte n'a de sens que dans deux cas de figure :
- lorsque le chef d'entreprise doute de son avenir : "ce n'est pas raisonnable de recruter aujourd'hui alors que je ne pourrai peut-être pas demain lui donner de travail",
- lorsque le chef d'entreprise hésite sur son jugement : "suis-je capable de sélectionner les bons candidats, ceux qui ont envie de travailler, d'apprendre, de faire des efforts?"
Le premier cas vaut pour tous, les jeunes comme les moins jeunes, les diplômés comme les autres (et c'est bien pourquoi on peut douter de l'argument qui voudrait réserver le CPE aux jeunes sans qualification).
Le second vaut plus pour les jeunes sans qualification que pour les autres. Le patron qui recrute un bac+4 sait qu'il dispose de certaines compétences intellectuelles, qu'il est capable de faire des efforts et de travailler : sinon, il n'aurait tout simplement pas obtenu ses diplômes. Il ne sait rien de tel pour les jeunes qui ont quitté l'école sans le moindre titre. Il n'a, dans leur cas, pas d'autre solution que d'essayer. C'est bien pourquoi il a besoin d'une période d'essai. Mais, comme l'ont souligné de nombreux responsables des ressources humaines, a-t-on vraiment besoin de deux ans pour se faire une opinion? Quelques jours, quelques semaines au plus suffisent.
Si l'on s'en tient donc à ces arguments, le CPE ne vaut pas grand chose. Il devrait même, comme le disent les étudiants, augmenter la précarité de ceux qui auraient autrement trouvé un emploi en CDI.
Mais cela amène une autre question. Les jeunes qui entrent sur le marché du travail sont-ils aujourd'hui recrutés avec des CDI? La réponse est, malheureusement, plus souvent : non. Le CPE peut-il remplacer ces formes plus traditionnelles de précarité? Si c'était le cas, si les employeurs le préféraient au CDD et à l'intérim, ce serait sans doute un progrès. CDD et intérim sont des contrats de travail à échéance, dans lesquelles la rupture est programmée. Le salarié qui arrive en fin de contrat n'a rien à dire : il doit partir. Et même si sa hiérarchie directe est satisfaite de lui, elle ne peut pas faire grand chose. Elle peut tout au plus demander à la Direction des Ressources Humaines de lui proposer un nouveau CDD. Mais on sait qu'on ne peut les multiplier. Avec le CPE, il en irait sans doute autrement. Au bout de deux ans, la transition se ferait discrètement, insensiblement, sans que personne ne s'en rende compte. Ce serait donc un progrès, mais un petit progrès. Si emplois créés il y a, ils se feraient sur ces CDD qu'on regrette de voir partir, qu'on aurait gardé si… Autrement dit : le CEP n'a d'intérêt que s'il se substitue au CDD. Il aurait été tellement plus simple de supprimer ce contrat qui contribue directement au chômage des jeunes et moins jeunes. Et l'on aurait évité cette absurdité qu'est un licenciement sans motif ni entretien préalable. Comment peut-on justifier qu'un employeur qui se sépare d'un salarié ne le recoive pas pour lui expliquer ses raisons?
Je traite plus en détail du CPE dans cette chronique radiophonique.

25 février 2006

On cause, on cause, on ne fait rien

Je le disais dans un précédent message sur ce blog. Le gouvernement parle, parle, parle, mais ne fait rien pour les banlieues. Sentiment de plus en plus partagé par la presse, par tous ceux qui s'intéressent encore aux banlieues, ils ne sont plus si nombreux, comme si elles s'étaient éloignées de notre horizon, comme si elles avaient soudain disparu…
La vie comme elle va :
- Sarkozy parle d'antisémitisme pour une affaire de droit commun, tout le monde s'emballe, les journalistes, d'abord réticents suivent jusqu'à ce que l'on découvre (demain, un peu plus tard) qu'il n'y avait dans toute cette affaire que de la cruauté banale et de la bétise (reste que pendant tout ce temps là, les gens raisonnables se demanderont : aurait-on fait autant de bruit si la victime avait été noire ou beur?),
- le ministère de l'intérieur poursuit de plus belle les immigrés clandestins comme si nos dirigeants n'avaient pas, eux aussi, des femmes de ménage, des peintres ou des plombiers sans papier, femmes (et hommes) dont ils apprécient au quotidien le sérieux, la volonté de s'en sortir,
- des voix s'élèvent ici ou là pour condamner la politique menée (la mienne, quelques autres), tellement inaudibles, même de nos amis. Nous sommes si peu "sérieux"… 

01 février 2006

Un site

Il n'y a pas tant de sites que cela qui parlent des banlieues et de ce qui s'est passé en 2005. Il y a celui-ci que je vous recommande : A toutes les victimes On y trouve des choses excellentes sur lesquelles je reviendrai rapidement.

Le Parisien libéré, Aujourd'hui

Je lis peu le Parisien Libéré, à preuve, je l'appelle encore de son ancien nom, alors qu'on le vend à Paris sous le titre Aujourd'hui. Ce sont ses reportages sur les banlieues qui m'ont amené à m'intéresser d'un peu plus près à un titre que je sais depuis longtemps de qualité (quoique… abominable mot que ce "quoique", populaire). Mais je dois dire que sa lecture est toujours instructive. Il y avait dans le numéro d'hier que je feuillette une dernière fois avant de le jeter une page consacrée à la nouvelle notation que le ministère de l'Eductation Nationale veut mettre en place. On y trouve plusieurs interviews express de parents qui montrent que les opinions (les leurs et sans doute les notres) sur la notation dépendent moins de ce que nous observons que de ce que nous pensons par ailleurs de ce que devrait être une bonne société. Il y a ceux (comme par hasard deux hommes, un chef d'entreprise et un militaire) qui pensent qu'elle est tout juste assez sévère et ceux qui la trouvent trop dure (des mères et, j'allais dire, naturellement, une psyhologue et une chercheuse au CNRS).

Ce qui ne va pas : l'étrange langueur de nos institutions

Le Parisien poursuit sa série sur les banlieues. Une même impression ressort de tous ces reportages, impression qui conforte ce que l'on voit sur le terrain. Si les maires se mobilisent dans la mesure de leurs moyens (qui pour trouver des locaux pour une entreprise dont les bâtiments ont brûlé, qui pour reloger une école dévastée…), les institutions nationales restent étrangement absentes.
Question : pourquoi la RATP, le ministère de l'intérieur (et quelques autres) ne se mobilisent-ils pas plus pour les banlieues alors même que chacun sait ce qu'elles pourraient faire : créer des commissariats de police là où ils n'existent pas comme à Clichy sous bois, créer de nouvelles lignes d'autobus pour désenclaver les quartiers isolés, proposer des stages aux jeunes de cesquartiers (pas besoin pour cela d'une loi sur la discrimination positive, juste un peu de volonté d'une DRH suffirait)?
Réponse : aucune de ces institutions ne se sent responsable. Ce n'est jamais de leur faute, celle de l'autre, des autres (des maires de gauche, comme disait encore l'autre jour l'ineffable Jean-François Coppé). Ce n'est jamais leur responsabilité, mais toujours celle de quelqu'un d'autre, de l'Etat, des politiques, des entreprises…
En fait, toutes ces institutions sont malades de leur manque d'esprit d'initiative. Elles ne se sentent pas concernées et elles continuent leur train train jusqu'à la prochaine explosion. Il est vrai que tout les pousse à cela :
- les erreurs d'analyse des politiques qui ne les sollicitent pas (et pourquoi le feraient-ils s'ils pensent que les émeutiers sont des voyous. Si ce sont vraiment des voyous, pas besoin de changer quoi que ce soit à ce qui existe, il suffit de les mettre en prison),
- l'inertie de grandes organisations plus occupées à entretenir leur confort, celui des salariés mais aussi, et surtout, celui des directions, du management) qu'à chercher comment mieux assurer leurs missions de service public,
- leur organisation qui ne met personne ne situation de porter, en interne, ces problèmes.
La crise des banlieues met une nouvelle fois en évidence l'étrange langueur de nos institutions. On parle souvent du mal français. C'est aussi cela.

30 janvier 2006

le Parisien parle des banlieues

Bonne série de papiers dans le Parisien de ce jour (30 janvier 2006). On y apprend ce que l'on savait déjà mais que l'on est toujours surpris de réapprendre :
- les jeunes gens interpellés ne ressemblaient en rien au portrait qu'en a tracé Nicolas Sarkozy (on le savait, mais qu'un journal populaire le rappelle est agréable à lire),
- toujours pas de commissariat à Clichy!!!!!!! Vu de loin, il suffirait cependant de prendre à Neuilly qui en a trop quelques policiers, de louer n'importe quel appartement vide pour créer une amorce de commissariat. Si le ministre de l'intérieur travaillait, ce serait fait depuis longtemps (tout cela ne devrait pas demander plus d'une matinée de travail),
- les Français sont très sceptiques (et c'est un euphémisme!) sur les mesures annoncées par le gouvernement d'après le sondage de CSA commandé par le journal. Réaction de Jean-François Coppé (je simplifie) : c'est la faute des maires et de la gauche. Avec un ministre de l'intérieur qui ne pense qu'aux prochaines présidentielles et un porte-parole du gouvernement qui ne s'intéresse qu'à la polémique avec l'opposition, les banlieues sont servies!
- toujours pas plus de transports en commun qui désservent
Clichy-sous-bois (pourquoi donc la RATP est-elle une société publique
si elle n'est pas capable de réagir plus vite que des sociétés privées
lorsqu'il apparaît que son action pourrait être utile? Je ne milite pas
pour la privatisation de la RATP, mais être dans le service public
donne des obligations dont cette entreprise ne se préoccupe
manifestement pas).
Autant dire que rien n'a changé, que rien ne change et que les Français qui s'inquiètent du retour des violences ont de bonnes raisons de se faire du souci.
Cette série doit être poursuivie pendant toute la semaine. A suivre!

29 janvier 2006

Le confusionnisme d'Arno Klarsfeld

Le Monde vient de publier une libre opinion d'Arno Klarsfeld qui est une illustration du confusionnisme qui a saisi un certain nombre de nos intellectuels dès que l'on parle de l'histoire.
Le Monde.fr : L'histoire n'appartient pas aux historiens, par Arno Klarsfeld
Dans ce papier qui traite des lois sur l'aspect positif de la colonisation et qui prend position en faveur du texte discuté, nous explique sucessivement :
- "Les historiens n'écrivent pas l'histoire. Les hommes, les peuples font l'histoire ; les historiens se contentent d'écrire sur l'histoire." Ce qui est évidemment absurde : si les peuples font l'histoire, si éventuellement, ils s'en fabriquent une, multiple et fragmentée, à coups de mémoires, c'est bien aux historiens qu'il revient de l'écrire, c'est-à-dire tout à la fois de prendre le temps de l'examiner, de l'analyser avant de l'écrire, et de la figer dans des textes qui ont valeur scientifique, ce qui veut tout à la fois qu'ils prétendent dire la vérité et qu'ils peuvent être contestés au nom même de la vérité ;
- un peu plus loin, il confond histoire, commémoration et indemnisation des victimes. S'il revient aux élus d'organiser les commémorations, on ne saurait confondre celles-ci avec l'écriture de l'histoire. Les commémorations sont une manière pour un peuple de se construire un Panthéon, de se fabriquer des héros et de leur rendre hommage. Les historiens peuvent faire l'histoire de ces commémorations (certains s'y sont d'ailleurs attachés), mais organiser des commémorations, ce n'est pas écrire l'histoire ;
- plus loin, à propos de la loi Gayssot, il écrit qu'elle "ne restreint pas la liberté d'opinion car le négationnisme constitue une agression contre l'histoire." Là encore erreur et confusion. La loi Gayssot restreint bien la liberté d'opinion puisqu'elle interdit de défendre le négationnisme qui est une opinion, qui n'est, d'ailleurs, que cela. Et c'est en ce sens que la loi Gayssot ne restreint pas la liberté de l'historien. Elle interdit simplement à quelques néo-nazis et anti-sémites de faire leur propagande, ce qui est tout différent.
Il conclut, enfin, sur l'article 4 de la loi du 23 février qui dispose que "les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord" et "accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit". Et il lui reproche de ne pas être équilibré, de n'évoquer que "le seul rôle positif de la présence française sans rappeler ce que furent les méfaits considérables de la colonisation". Ce qui, en gros, veut dire que le législateur aurait du écrire : "les programmes scolaires reconnnaissent le rôle complexe de la présence française outre-mer". On a envie de dire : bien sûr! c'est ce que devraient faire les programmes scolaires. C'est, sans doute, d'ailleurs, ce qu'ils font. Mais pourquoi faudrait-il que le législateur intervienne sur ce sujet plus que sur mille autres en histoire comme dans d'autres disciplines? Il suffit seulement de demander aux enseignants, aux rédacteurs des programmes et des manuels de traiter des sujets qu'ils abordent de la manière la plus approfondie et la plus sérieuse possible en fonction des avancées les plus récentes de la science.
Il y a, je crois, dans tout cela, une confusion majeure sur le rôle de l'école : les enseignants sont là pour enseigner à raisonner, à penser, à faire la différence entre le vrai et le faux, en un mot à être libre. Et c'est le rôle du Parlement que d'organiser l'école de manière à ce qu'elle nous enseigne cela. Ce n'est certainement pas le sien de nous dire ce qu'est la vérité. Cela, c'est celui des scientifiques, des historiens, des mathématiciens, des physiciens, des biologistes… et d'eux seuls. Et s'il arrive qu'ils changent d'avis (et c'est ce qu'ils font régulièrement dans toutes les disciplines), c'est bien la preuve que la vérité ne relève pas de la loi mais d'un travail continu de vérification. Quand on pense à ces sujets, il faut se souvenir de Popper et de ce qu'il disait de la preuve scientifique qui n'est scientifique que parce que l'on peut la réfuter.

18 janvier 2006

La banlieue entre lumpen-proletariat et nouvelle bourgeoisie

Un ami me demandait, tout récemment, de résumer mon livre "qu'il aimerait tant lire", ce qui voulait sans doute dire qu'il ne le lirait pas. C'est naturellement à peu près impossible (après tout, si j'ai écrit 130 pages, c'est qu'il les fallait bien), je me suis donc contenté d'extraire une des thèses que j'y développe. Voici ce que cela a donné :
- la banlieue est comme ces colonnes de distillation qui séparent le pétrole en toute une série de produits qui vont des bitumes (les produits les plus lourds qui restent en bas de la colonne) jusqu'aux plus légers comme le kérosène et les carburants que l'on utilise dans l'aviation. De la même manière les banlieues sont un espace dans lequel s'effectue un tri entre, d'un coté, des gamins qui risquent de finir dans le lumpen proletariat comme le décrivait Marx, et de l'autre, des gamins qui vont former une nouvelle bourgeoisie à la Weber,
- la ligne de partage est la carrière scolaire : il y a d'un coté, les exclus de l'école, ceux que l'on retrouve dans les sections professionnelles et, de l'autre, ceux qui suivent des carrières scolaires normales,
- ce qui distingue les enfants des banlieues de ceux des autres quartiers est que le choix de cette carrière scolaire leur revient alors que dans d'autres milieux, ce sont les parents qui prennent les décisions,
- ce transfert de la décision des parents aux enfants tient, non pas à la pauvreté, mais à l'érosion des méthodes éducatives dans des milieux extrêmement hétérogènes que sont nos banlieues. A l'inverse de ce qui se passe aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, les quartiers ne sont pas organisés par ethnies. Ce qui évite les conflits ethniques et le racisme (c'est donc un avantage), mais autorise les enfants à contester l'autorité parentale (pourquoi me demandez-vous de faire cela alors que les voisins ne le demandent pas à leurs enfants?).
- les enfants qui choisissent très jeunes la carrière scolaire doivent faire preuve d'un formidable ascétisme (il faut décider par soi-même de travailler plutôt que d'aller jouer au foot avec les copains), or cet ascétisme est très proche de celui que Weber a analysé dans ses études sur l'esprit protestant.
Ce qui permet de dire que les banlieues sont l'avenir de notre société pour le meilleur (cette nouvelle bourgeoisie est dynammique) et le pire (le lumpen proletariat). Les objectifs d'une politique devrait donc être d'éviter tout ce qui peut contribuer à favoriser le développement du lumpen proletariat : les mécanismes d'exclusion à l'école mais aussi la précarité dans l'emploi qui incite à ne travailler que lorsqu'on ne peut pas faire autrement.

17 janvier 2006

13 janvier 2006

Des émeutiers très jeunes

On savait les émeutiers de novembre très jeunes, le portrait qu'en trace le parquet de Paris (Libération du 12/01/06) le confirme :

"Le parquet de Paris a décortiqué le profil des 102 interpellés lors des émeutes de novembre à Paris : ils sont jeunes (63 % ont moins de 18 ans), parisiens (82,5 %), français (87 %), sans antécédents judiciaires (50 %) et déscolarisés (50 % des mineurs). Leur motivation ? «Une dimension ludique et immature renforcée par l'aspect virtuel des images chocs diffusées par les médias», a assuré hier le procureur de la République lors de l'audience de rentrée. «En revanche, nulle trace de revendication de type identitaire. Nul stigmate d'une impulsion ou d'une récupération politique ou religieuse», a précisé Jean-Claude Marin."

Conclusion? Tous ceux qui nous ont parlé d'Islam et de délinquance auraient mieux fait de tourner sept fois leur langue dans la bouche avant de donner leur opinion définitive. Cela leur servira-t-il de leçon? Ce n'est même pas sûr. J'ai observé qu'il n'y avait souvent plus sourd que celui qui ne veut pas entendre.

12 janvier 2006

Les émeutes vues des Etats-Unis

Il est toujours intéressant (amusant, inquiétant, surprenant) de voir les événements que nous vivons à chaud à travers les yeux des étrangers. Les émeutes nous ont donné une nouvelle occasion de voir combien chacun (les autres, mais nous aussi) a tendance à juger d'après sa société. Témoin cet article, pas plus absurde qu'un autre (plutôt moins absurde que beaucoup) publié en novembre dans Slate, une revue sur internet. On y retrouve les mêmes recettes que les Américains nous recommandent dès qu'ils s'intéressent à nous. En gros : faites comme nous.
On remarquera, à l'occasion, qu'on n'est pas très loin, pour ce qui est du diagnostic, de ce que dit Daniel Cohen. De là à penser qu'il prend son inspiration outre-Atlantique, il n'y a qu'un pas que je ne franchirai même si à sa lecture, le texte de Daniel Cohen m'a rappelé ceux de Thomas Sowell, un économiste américain qui a beaucoup écrit sur ces questions, même si Cohen est sans doute très loin de partager les thèses ultra-ethnicistes de Sowell).
Le plus intéressant dans ce texte est certainement sa fin qui met en évidence


The French Eat Their Young
Paris needs less red tape and a lot more jobs.
By Elisabeth Eaves
Posted Wednesday, Nov. 9, 2005, at 3:08 PM ET

PARIS—In the two weeks of nightly rioting around France, some American pundits see an incipient religious war, while France's favorite celebrity philosopher, Bernard-Henri Lévy, sees a "suicidal, unprecedented tarantella."

In fact, those looking for root causes, beyond the death-by-electrocution of two teenagers fleeing the police, would do better to focus on a more mundane concern, namely employment.

This may come as a disappointment to those who await the "clash of civilizations" as ardently as doomsday cultists await the apocalypse. But the fact that many of the rioters are from Muslim families is about as relevant as the fact that many of 1992's Los Angeles rioters had Baptist grannies.

Hormonal, alienated kids need good reasons not to set cars on fire, such as opportunities to lose. They have few: Among the young, immigrant men who live in satellite slums, unemployment reaches 40 percent.

While that's considerably higher than the still-dismal figure of 10 percent nationwide, there's more to this discrepancy than just racism and isolation. Among all twentysomethings, unemployment is a whopping 20 percent. And many of the jobs that do exist are sinecures, because French labor laws make it difficult and expensive to fire workers.

As a result, it's not just Arab and African boys who see little point in trying. The book Bonjour Paresse, by a young, white Parisian woman, was a runaway best seller last year. The title means "Hello Laziness" (it was published in the States as Bonjour, Laziness: Jumping Off the Corporate Ladder), and it's one long argument in favor of slacking off at work. Author Corinne Maier became an icon to fellow cubicle-dwellers, who recognized a principled point behind her tongue-in-cheek exhortations to "actively disengage" and "spread gangrene from within": The book is a protest against an ossified corporate culture in which people try to look busy while waiting out their jobs-for-life. Needless to say, Maier's company could not fire her even after she publicly detailed her total refusal to make an effort at work.

The French riots should be a wake-up call, but not for pouring billions of euros into the banlieues, as measures announced today by Prime Minister Dominique de Villepin would do. A visionary leader would seize the chance to dismantle an economic system that is eating its young.

An obvious place to start would be to overturn labor laws that strangle private enterprise. The minimum wage is so high that it often exceeds the potential productivity gains of hiring a new worker, according to the Organization for Economic Co-operation and Development's 2005 Economic Survey of France. In other words, even if a prospective employee would increase your company's income by only, say, 1,000 euros a month, you would have to pay him more than that. (The minimum wage is 1,197 euros a month. Spread over four 35-hour weeks, that works out to 8.55 euros, or $10, an hour.)

Enterprise is hampered in other ways too. Companies that can't fire people are ultracautious about hiring. A complicated tax structure means that even the smallest firms must devote resources to tax accounting. Excessive licensing requirements in many professions keep out competition.

Red tape doesn't just hamstring economic growth. It also lends itself to racist implementation. The more bureaucratic gatekeepers job-seekers have to appease, the more likely it is that someone will sooner or later reject Mohammed in favor of Pierre. While French politicians lament the harshness of capitalism, the so-called Anglo-Saxon model is what allows American immigrant families to leap from corner grocery store to the Ivy League in a single generation.

Removing the government's stranglehold on the economy, though, would eventually threaten France's elaborate social welfare system, which is not so much a safety net as a downy mattress complete with breakfast in bed. The portion of the French electorate that benefits from guaranteed short hours, six-week summer holidays, and early retirement has shown time and again that it is willing to vote against mathematics. These people would choose to keep paying themselves benefits until the ambitious have all left for London and the rioters have reached the Arc de Triomphe.

It's times like this that strong leaders need to step in and do unpopular things. Among his new measures, de Villepin announced tax breaks for businesses that locate in a "ZUS"—a "sensitive urban zone." That sounds like a good idea, but without fundamental labor reform, I doubt it will go far enough.

Mostly, de Villepin has announced things that will cost the government lots of money. Among the more curious is a promise that every ZUS inhabitant under 25 will undergo a personal "in-depth interview" at an employment agency, in which a "specific solution," such as an internship or training program, will be proposed. Bonjour Paresse author Maier, who holds degrees in economics and psychotherapy, is underemployed in a 20-hour-a-week job. Perhaps the state should hire her to work in a Clichy-sous-Bois employment center. I'd love to hear what she would tell her young charges about the future that awaits them, should they ever make it to the workforce.

The future is not entirely bleak. Traveling from the middle of Paris to the land beyond the périphérique, or ring road, has always presented stark differences. White people leave the train long before it arrives in all-minority burgs like St. Denis and Bobigny. But between calcified central Paris and the distant concrete towers, the city's truly multicultural arrondissements defy all attempts at ethnic categorization. On Rue du Faubourg du Temple, which divides the 10th and 11th wards, for example, Chinese, Sri Lankan, Arab, European, and Turkish shopkeepers have their businesses jammed up against one another. The neighborhood is pleasantly hectic and entrepreneurial, with buckets of cheap shoes and barking restaurateurs. It's an area where a Londoner or New Yorker could feel right at home.

Ironically, France has done a far better job than America of educating its underclass, thanks to a school system paid for with national rather than local funds. But the state has failed on employment, leaving students with skills and aspirations twisting in the wind. If the government would back away from its stranglehold on the economy, it wouldn't have to resort to barricades and curfews to keep the have-nots under control. Instead, they could get jobs, and their future would look less like a high rise slum and more like Rue du Faubourg du Temple.


Un article de Daniel Cohen

Beaucoup de choses ont été écrites sur les émeutes, parfois intéressantes, parfois moins. Il y avait hier dans le Monde un papier de Daniel Cohen qui mérite qu'on s'y attarde un instant. Le voici pour ceux qui n'auraient pas acheté le journal et qui hésiteraient devant le prix des archives.

Banlieues, chômage et communautés, par Daniel Cohen (LE MONDE | 10.01.06 | )

Le taux de chômage français est de 10 %, celui des jeunes de 20 %, celui des jeunes des cités de 40 %. A la recherche de causes "culturelles" à la crise des banlieues, il est facile d'oublier l'importance du chômage. Une étude des émeutes urbaines américaines, dont le champ d'analyse couvre trois décennies, montre que le chômage, et non la pauvreté, est l'un des facteurs majeurs qui expliquent les soulèvements urbains. Ce n'est pas parce qu'on est pauvre qu'on se révolte, mais parce qu'on n'a pas de travail, qu'on se sent étranger au monde où l'on veut vivre.

Plus que dans les autres pays, le chômage français est une barrière discriminante. Une frontière sépare ceux qui bénéficient des protections liées à un emploi stable, les "insiders", et ceux qui en sont privés, les "outsiders". L'opposition entre les jeunes et les adultes est parfaitement représentative de cette césure. Aux jeunes les stages et les contrats à durée déterminée (CDD) ; aux adultes les contrats à durée indéterminée (CDI) et les avantages y afférant. Ce qui rend le chômage français socialement tolérable, même si la révolte des stagiaires prouve que la limite est atteinte, est l'idée simple selon laquelle les outsiders ont tôt ou tard vocation à devenir insiders. Les jeunes finissant tous par devenir adultes, ils profiteront eux aussi du même statut.

Ce n'est pourtant pas le seul facteur à l'oeuvre. Le fait que les jeunes puissent être directement pris en charge par les adultes joue également un rôle fondamental. Car la France emprunte de nombreux traits à ce qu'on peut appeler le capitalisme "méditerranéen", pour reprendre la typologie éclairante de Bruno Amable. Dans un tel système, les outsiders ne sont pris en charge ni par l'Etat, comme dans le capitalisme scandinave, ni par le marché, comme dans le capitalisme anglo-saxon, mais par un jeu plus ou moins assuré de solidarités familiales.

C'est ici que pointe la crise des banlieues. Si le chômage français est à la limite de ce qui est acceptable pour la population en général, il devient catastrophique pour les populations à risque. Le paradoxe central qui est mal compris lorsqu'on parle des banlieues est en effet le suivant : les jeunes des cités sont privés des solidarités intrafamiliales qui rendent le "modèle français" supportable aux autres jeunes. La question "culturelle" apparaît ici, mais sous une forme inverse de celle ordinairement posée. Contrairement à l'image d'Epinal d'un communautarisme fort qui serait en soi un facteur d'exclusion, l'existence sociale des jeunes dans les banlieues est fragile du fait d'un lien communautaire faible.

L'exemple américain, même s'il est inacceptable en France, montre que l'intégration des minorités est bel et bien fonction de la force des solidarités intracommunautaires. Lorsque les Cubains chassés par Fidel Castro en 1980 ont cherché un emploi à Miami, plus de la moitié d'entre eux ont trouvé un emploi dans une entreprise cubaine (où ils travaillaient encore dix ans plus tard). Lorsque les communautés sont soudées, comme dans le cas chinois, le nouvel arrivant peut aussi compter sur un crédit communautaire, lequel fonctionne à la manière des tontines africaines : le premier qui rembourse aide au financement de ceux qui suivent. Ainsi peut fonctionner une accumulation primitive, qui offre à la seconde puis à la troisième génération les ressources qui permettent ensuite une véritable intégration.

Pourquoi certaines communautés sont-elles faibles, d'autres fortes ? Pour qui chercherait la réponse dans l'ethos originel de la communauté elle-même, il faudrait expliquer pourquoi les Mexicains échouent là où les Cubains réussissent, alors même qu'ils sont les uns et les autres catholiques et hispanisants. Souvent les communautés émigrées réussissent alors même que le pays d'origine est en crise.

Un facteur essentiel tient en fait aux conditions d'entrée des premières générations. Lorsqu'elles trouvent des conditions économiques favorables, elles offrent un modèle aux suivantes, qui peuvent alors croire en leurs chances. Dans le climat détérioré des années 1980, l'intégration est plus dure : l'échec de la seconde génération rejaillit sur la troisième. Ainsi, dans le cas mexicain, les enfants de la troisième génération, confrontés aux difficultés des adultes, se désintéressent de l'école, alors que la seconde génération y mettait encore tous ses espoirs. La communauté devient faible et son image se retourne contre ses membres.

MODÈLE RÉPUBLICAIN FRANÇAIS

Le modèle républicain français, qui joue tout sur l'intégration par l'école, est évidemment allergique à l'idée qu'un lien communautaire fort puisse être un facteur d'intégration. On préfère souligner plus directement que le niveau scolaire des parents étant faible, le handicap des enfants devient vite insurmontable.

Ce raisonnement est indiscutable, et ceux qui le sous-estiment au profit d'explications strictement culturelles manquent l'essentiel. Il est pourtant incomplet. Dans les pays émergents aussi, le handicap scolaire des parents est écrasant. Cela n'empêche pas certains d'entre eux de rattraper, parfois en deux ou trois générations, le retard initial. Singapour était, après la guerre, un pays à 90 % analphabète, il est aujourd'hui classé parmi les meilleurs, devant la France. Mais contrairement aux enfants de Singapour qui bénéficient de programmes par définition adaptés à leur niveau, l'école de la République fixe une norme qui est celle de la moyenne nationale, inadaptée aux enfants vivant dans les banlieues.

Ce constat ne signifie pas qu'il faille une école au rabais, mais qu'on devrait réfléchir davantage aux moyens d'adapter l'école aux jeunes auxquels elle s'adresse. On pourrait, par exemple, commencer l'enseignement primaire plus tôt, dès 5 ans, pour les familles en difficulté, permettre aux enfants d'aller à l'école en juillet, de manière plus ludique, de façon à préparer l'année suivante. Pour les plus de 18 ans, peut-être faut-il réfléchir aussi à un RMI-jeunes, avec un accent sur le "I", cumulable au premier euro à un salaire ou à une bourse d'études...

La crise des banlieues ne se comprend pas si on l'interprète comme l'expression d'un communautarisme fort : ce serait plutôt le contraire. Ce constat ne veut certes pas dire qu'on doit le regretter. Il signifie que la République française doit prendre conscience du fait que son système fonctionne sur des solidarités privées dont sont dépourvus les plus démunis. Faute d'y suppléer elle-même, elle ne devra pas s'étonner que le communautarisme se présente comme une solution au problème qu'elle n'aura pas su résoudre.

Excellent papier, et je n'irai certainement pas contre puisque l'une des propositions que je fais dans mo livre est, justement, de demander aux entreprises et, notamment, aux entreprises publiques, de réserver les stages qu'elles offrent aux jeunes à des enfants des cités. J'y reviens même plusieurs reprises parce que je crois, comme Daniel Cohen, que le manque de réseau, de relations est l'un des handicaps des jeunes (ils ne peuvent pas exploiter ce que les sociologues appellent les "liens faibles". Mais, mais… parce qu'il y a un mais! Faut-il attribuer les émeutes au chômage? Les gamins que la police a arrêtés étaient le plus souvent trop jeunes pour se présenter sur le marché du travail.
Sauf à penser qu'ils se sont révoltés à la place d'autres (un peu comme en 1995, les salariés du secteur public ont fait grève à la place des salariés du privé) ont doit chercher à leur révolte d'autres raisons.

Un blog sur les émeutes

Bonjour,
C'est un nouveau blog que j'ai créé pour accompagner la sortie de Banlieues, insurrection ou ras le bol aux éditions le Point sur les i, un livre qui tente d'analyser dans le détail, et de manière pas forcément conventionnelle, les émeutes de novembre dernier.
J'ai créé ce blog pour en discuter avec les lecteurs, pour continuer d'informer sur ce sujet qui n'en a pas fini de nous occuper, pour donner des pistes de recherche notamment sur internet.