Un blog créé à l'occasion de la sortie de mon livre Banlieues, insurrection ou ras le bol, pour discuter de ce qui s'est passé en novembre 2005

24 mars 2006

Les deux modèles d'intégration

On a depuis quelques mois tendance en France à rêver du modèle communautaire à l'anglo-saxonne (on le trouve aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne mais aussi aux Pays-Bas et, pour partie, en Allemagne) que l'on oppose au modèle d'intégration à la française. Il serait, nous dit-on, plus efficace et mieux adapté. Voire…

Ce modèle communautaire conduit à créer des quartiers homogènes : pakistanais, turcs, chinois, vietnamiens… comme on en voit dans les villes britanniques et américaines. Il favorise le maintien de la langue et des traditions et autorise le développement d'institutions communautaires qui sont en général de deux types :
- institutions politiques (responsables d'associations, autorités religieuses) qui peuvent dialoguer avec les pouvoirs publics qui souvent leur délèguent une partie de leurs missions ;
- armées privées que les communautés développent pour se protéger des intrusions étrangères et pour élargir leur territoire lorsque nécessaire. Ces armées se financent en général par le racket sur la population qu'elles sont censées protéger et par des activités illégales. La mafia italienne est l'exemple même de ces armées privées.

Ce modèle autorise la délégation de gestion, il assure éventuellement une certaine discipline dans les quartiers (les mafias jouent parfois ce rôle), mais il favorise également les conflits intercommunautaires et le racisme. Ce n'est sans doute pas un hasard s'il ne se passe pas de semaine sans que la presse britannique ne fasse état de crimes de haine, racistes…

Nous avons choisi en France un tout autre modèle qui mélange les gens d'origine les plus différentes. On trouve dans les mêmes barres d'immeubles jusqu'à 30 ou 40 nationalités différentes. Ce choix (mais faut-il parler de choix?) tient à des motifs complexes liés à notre histoire, au droit du sol, à la qualité des services publics (qui rend inutiles des services privés et rend plus difficile le développement d'institutions communautaires), à l'existence, dans Paris et la région parisienne, de quartiers qui depuis des décennies reçoivent les immigrants, d'abord de l'intérieur puis de l'extérieur. Reste que ce modèle conduit à des modes d'intégration complètement différents avec des problèmes qui le sont également.

Dans les systèmes communautaires, les jeunes restent éduqués dans la culture de leurs parents. Si conflits il y a entre la culture de leurs parents et celle de la société d'accueil, ils sont tardifs. Dans notre système, les jeunes sont dès leur plus jeune âge confrontés à des systèmes éducatifs différents, ils peuvent jouer de ces différences pour prendre de la liberté. Ils sont très tôt, bien plus tôt que les enfants élevés dans des milieux homogènes, amenés à choisir entre différentes options (faire ses devoirs/jouer avec ses camarades ; parler bien/parler mal…). Ce système a des avantages : il évite les confits interraciaux, les bandes ethniques qui n'existent pratiquement pas chez nous, il freine (ou interdit) la création de ces armées privées qui se transforment rapidement en mafias. Mais il force les enfants à faire très vite des choix difficiles. Et pour ceux qui ne font pas les bons choix… c'est la galère, l'exclusion scolaire et de grandes difficultés, surtout lorsque le monde du travail n'est pas là pour repêcher ceux qui, l'âge venant, tentent de se poser.

Ces deux modèles sont tellement différents que l'on ne voit pas comment on pourrait rapidement passer de l'un à l'autre. On peut parler, rêver de communautés, c'est ce que fait Sarkozy, mais il y a peu de chances qu'on aboutisse. Le mélange de populations rend très improbable la création d'institutions auxquelles les pouvoirs publics pourraient déléguer une partie de leurs missions. Si solution il y a, il faut la chercher au coeur même de notre modèle et non en cherchant à importer artificiellement ce qui ne marche pas forcément très bien ailleurs.

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