Un blog créé à l'occasion de la sortie de mon livre Banlieues, insurrection ou ras le bol, pour discuter de ce qui s'est passé en novembre 2005

29 mars 2006

EHESS, suite

Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur l'occupation de l'EHESS, je recommande le site d'André Gunthert qui travaille lui aussi à la EHESS et qui complète très utilement l'information que je donne ici.
Actualités de la recherche en histoire visuelle

28 mars 2006

Occupation de l'EHESS : deux témoignages… hallucinants

J'ai reçu ce matin sur AligreFM, radio à laquelle je collabore réguolièrement, deux chercheurs de l'EHESS qui ont assisté à l'occupation des locaux. Ce qu'ils disent est… tout simplement hallucinant.
Pour qui veut les écouter, j'ai mis cet entretien sur internet à cette adresse ou à celle-cimais voici en résumé ce qu'ils m'ont expliqué :
- à l'occasion d'une assemblée générale sur le CPE organisée par les étudiants, un certain nombre d'individus (quelques étudiants, des autonomes armés de battes de fer et de jeunes (voire très jeunes) casseurs pénètrent dans l'établissement du boulevard Raspail dont ils organisent l'occupation,
- au vu des premières dégradations, la directrice de l'EHESS avertit la police dont elle demande l'intervention. La police refuse d'intervenir mais lui conseille de faire appel à une société de sécurité privée dont ses interlocuteurs lui donnent l'adresse,
- l'EHESS fait appel à cette société qui lui coûte 11 000€ par jour, à financer directement sur ses propres budgets. La présence de ces vigiles évite que l'occupation s'étende à d'autres locaux ;
- les dégradations se poursuivant dans le local de l'EHESS, sa directrice sollicite de nouveau la police puis s'adresse au Président de l'Assemblée Nationale ainsi qu'à la presse qui en parle ;
- lorsque la décision est enfin prise de "libérer" les locaux, ce ne sont pas les CRS qui entrent en premier dans le bâtiment, MAIS des vigiles!
Tout cela fait s'interroger sur le rôle de la police et des pouvoirs publics. Ont-ils décidé de privatiser les travaux de police qui présentent un risque? Ont-ils voulu créer un abcès de fixation loin de la Sorbonne et de l'attention des médias? Quelles relations le ministère entretient-il avec cette société? Quel est son rôle dans le dispositif de la sécurité? Quelle que soit l'explication, il s'est passé là quelque chose de grave.

27 mars 2006

Non, ce n'est pas un Rauschenberg


On trouve ci-dessous une intéressante série de photos sur la Maison des Sciences de l'homme après son occupation :
gunthert's 105, bd Raspail slideshow on Flickr
Ces images sont parlantes. Elles nous montrent que les occuppants n'étaient pas sans culture (ce qui ne veut pas dire qu'ils pensaient beaucoup). Il y a des allusions aux slogans de 68 mélés à retour à l'enfance (Vive le caca), une prédilection pour les jeux de mots et ici ou là des réminiscences de l'art américain des années 60, comme sur cette image qui nous montre des objets scotchés sur le mur à la Rauschenberg. Avec, naturellement, beaucoup d'alcool.
C'est plus la culture des squats que celle des banlieues.

La Maison des Sciences de l'Homme en squatt

Un témoignage de première main sur l'état des lieux à la Maison des Sciences de l'homme pà la suite de son occupation :
Etat des lieux après occupation - Actualités de la recherche en histoire visuelle
A sa lecture, on s'interroge : on comprend la volonté de l'auteur de dédouaner les occupants (si la police était intervenue plus tôt…), mais dans l'hypothèse où il aurait raison (une intervention plus rapide de la police…) comment interpréter cette appropriation "sauvage" des lieux avec graffitis, accumulation d'ordures et récupération de ressources locales? Quel ethnologue nous dira comment interpréter cette manière d'occuper l'espace qui s'inscrit manifestement dans la lignée des squats, voire, peut-êttre, dans celle de ces artistes qui graffitaient les lieux dans lesquels ils vivaient (petit hôtel du coté de la rue Saint-André des Arts où habitaient les poètes de la beat generation…).

25 mars 2006

Mais non, la réforme n'est pas impossible en France!

On voit depuis quelques jours régulièrement à la télévision Jacques Marseille qui vient de sortir un livre qui, une nouvelle fois, assure que la France ne peut pas se réformer, mais seulement évoluer par ruptures successives. L'idée est usée jusqu'à la corde et tout simplement fausse. Il suffit pour en juger de se rappeler de la manière dont en quelques mois la France a organisé une réduction du temps de travail historique. Toutes les entreprises de plus de 20 salariés ont modifié leurs réglements, leurs méthodes, leurs manières de faire. Toutes ont négocié avec des partenaires sociaux (qui n'existaient pas toujours et qu'il a fallu "créer") des accords nouveaux. Si ce n'est pas une réforme, je ne sais pas ce qui peut en être une. A moins que l'on entende exclusivement par réforme un recul social. Auquel cas, il est vrai que les Français résisteraient mieux que d'autres.
En fait, la France peut parfaitement se réformer. Elle l'a fait à plusieurs reprises, de manière publique, comme dans le cas des 35 heures, de manière plus discrète en d'autres circonstances. Mais pour qu'une réforme réussisse, il faut quelques éléments :
- de la détermination des pouvoirs publics,
- un donnant-donnant qui permette à chacun de se retrouver,
- une place laissée à la négociation entre les corps intermédiaires (syndicats, employeurs…).
Il n'y a dans le CPE que de la détermination. Comme elle est partagée par les deux parties, cela ne peut mener qu'au conflit.

Violences ou la puissance du négatif

La télévision nous a, hier, montré le visage défait d'un chercheur à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, absolument abasourdi par la violence des jeunes gens qui ont occupé l'établissement dans lequel il travaille tous les jours. Phiolosophe de formation, et sembel-t-il de métier, ce chercheur était totalement désemparé devant une expression réelle du nihilisme qu'il fréquente professionnellement dans les livres.
Il y avait pourtant là une illustration de la puissance du négatif, de ce néant, de ce "pur néant" dont parle Hegel au début de la Science de la logique : "Néant, le pur néant : c'est la simple égalité avec soi-même, le vide parfait, l'absence de détermination et de contenu ; l'indifférenciation au sein de lui-même. Pour autant qu'il puisse être question içi de contemplation ou de pensée, c'est seulement au point de vue de la différence qu'il y a entre penser quelque chose et penser ou contempler rien…"
Plus loin, Hegel explique que penser rien a une signification puisque nous le ditinguons de penser quelque chose.
On ne sait rien des jeunes gens qui ont occupé l'Ecole des Hautes Etudes. Qui sont-ils? Pourquoi s'être installé dans ce lieu si discret, que personne, sinon des universitaires de haut niveau, ne connaît? L'intrusion de la pensée du rien ou plutôt du rien de la pensée dans le temple de l'intelligence a quelque chose d'aussi radicalement nouveau pour la conscience intellectuelle que l'arrivée des barbares dans Rome. Il ne s'agit pas comme dans les émeutes américaines de piller des magasins, de voler de la nourriture ou des vêtements, pas même de voler des ordinateurs pour les revendre (ce qui aurait, au moins, du sens), mais de détruire le travail de ceux qui font profession de comprendre. Un travail tellement éloigné de ce que connaissent ceux qui ont tout cassé que l'on ne peut pas les soupçonner de la moindre envie (celui qui pille un magasin a envie de ce qui s'y trouve et s'il gaspille, détruit l'essentiel de ce qu'il pille du moins en consomme-t-il une partie).
Violence inquiétante qu'on aimerait pouvoir épingler, qualifier, nommer.

Ownership Status Matters: Call Centers, Employment Systems, and Turnover

Les avocats du CPE disent que les entreprises ne recrutent pas des salariés pour les licencier aussitôt.
C'est sans doute un peu plus compliqué que cela comme le suggère cette étude de Rosemary Batt sur les call-centers américains :
Ownership Status Matters: Call Centers, Employment Systems, and Turnover

Dans cette étude courte (et facile à lire), elle compare les comportements en matière de ressources humaines (salaires, formation, nature des contrats, turn-over) de trois types d'organisations :
- les call-centers intégrés dans les entreprises,
- les call-centers qui travaillent comme sous-traitants pour les entreprises,
- et les call-centers installés à l'étranger (en Inde…).

Ses conclusions sont sans appel : les comportements sont très différents. Les turn-over sont plus faibles, les salaires et la qualification plus élevés dans les call-centers intégrés. Les écarts sont, ajoute-t-elle, significatifs.

On en retiendra cette idée simple : s'il est vrai qu'il y a des situations, des stratégies qui incitent les employeurs à conserver les salariés qu'ils ont recrutés et formés, on aurait tort de généraliser. Il y a des situations, des positions de marché qui poussent à l'inverse à organiser le turn-over des salariés, même de ceux que l'on a rapidement formés.

Tout dépend sans doute de la situation concurrentielle et de la durée des formations. Les entreprises qui doivent se battre en permanence sur leurs prix et qui n'ont pas besoin de compétences très élevées n'hésiteront pas à se séparer de leurs salariés et à organiser le turn-over des CNE et CPE, si cela leur permet tout à la fois de réduire les coûts (se séparer au bout de quelques mois d'un salarié permet de ne pas l'augmenter) et d'accompagner les fluctuations de leur activité.

A l'inverse, les entreprises qui fonctionnent sur des marchés protégés de la concurrence et qui font appel à des compétences qui demandent une longue formation hésiteront à se séparer de salariés qui leur ont coûté cher.

Les casseurs ont apprivoisé la précarité

Il y a, au delà de l'utilisation de la violence, une différence de fond entre les anti-CPE et les jeunes casseurs (ou jeunes des banlieues ou jeunes sortis du système scolaire sans diplômes… on ne sait comment les appeler). Les anti-CPE ne veulent pas d'une précarité qu'ils craignent. Les jeunes casseurs se sont accomodés d'une situation qui leur permet d'alterner périodes de travail et périodes d'inactivité (voire demain, grâce au CPE, de chômage rémunéré).
Les plus agés ont apprivoisé la précarité qui leur permet d'avoir un peu d'argent tout en prolongeant leur adolescence (vie de célibataire, logement chez les parents, consommation de produits marques qui ne sont pas tous pillés). Le chiffre de 40% de chômage qui frappe cette jeunesse est trompeur. Il n'y a pas 40% de jeunes qui n'ont jamais travaillé, mais en permanence un volant de 40% de ces jeunes entre deux jobs, deux missions d'intérim… On dit que le CPE va les aider à s'insérer dans le monde du travail. Je crains, qu'à l'inverse, il les enferme un peu plus dans cette précarité acceptée.

24 mars 2006

Les jeunes des banlieues et la flexibilité

On dit que le CPE a été conçu pour les jeunes des banlieues qui ne trouvent pas de travail, les employeurs se méfiant de jeunes qui n'ont pas de diplôme. Mais lorsque l'on se promène dans la rue dans Paris, on voit beaucoup de ces jeunes tenir des emplois sans qualification (livreurs, nettoyage, gardiennage, petits emplois du bâtiment…). Les employeurs recrutent donc!
Ces jeunes se sont en réalité souvent adaptés à la flexibilité : quelques jours ou quelques semaines de travail (intérim, CDD, stages…) suivis de périodes de loisir. Ce qui ne favorise évidemment pas l'acquisition de compétences.
Je me demande si le CPE avec ces possibilités d'accès plus rapide aux indemnités chômage ne va pas favoriser ces comportements de "promeneur", de "dilettante" qui sont, on l'oublie trop, une vieille tradition ouvrière : toute la littérature industrielle du 19ème siècle ne parle que de la difficulté qu'ont les patrons de stabiliser leurs ouvriers (voir là-dessus mon livre sur les théories du management au 19ème siècle sur mon site).

CNE, CPE : le point de vue de deux économistes

A lire : l'article de Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo, deux économistes, spécialistes des questions du travail, sur les effets que l'on peut attendre du CNE qui viennent d'être publiés dans
PolitiquesSociales.net - Les politiques sociales à l'épreuve de la mondialisation
Qu'en retenir? Ils concluent qu'appliqué à l'ensemble de l'économie (et non plus seulement aux entreprises de moins de 20 salariés) le CNE pourrait, d'après leurs calculs, créer à terme 100 000 emplois, ce qui correspond à augmentation du taux d'emploi de 0,35% . Appliqué aux seules PME de moins de 20 salariés, comme c'est actuellement le cas, il permettrait de créer, selon les hypothèses retenues, de 35 000 à 70 000 emplois supplémentaires (à titre de comparaison, on considére que les 35 heures ont créé de 300 à 400 000 emplois directs).
Ils ajoutent que ce type de contrat a un impact négatif sur le bien-être des salariés (plus d'incertitude, plus de difficultés à trouver un logement, un emprunt…) qu'ils évaluent à 0,47% du revenu. Cette dégradation du bien-être des salariés devrait entraîner une diminution du taux d'activité. La population active pourrait, toujours d'après leurs calculs, diminuer de 20 000 personnes, ce qui pourrait, ajoutent-ils, augmenter les difficultés d'embauche des entreprises (du fait de la diminution du nombre de candidats).
Ils ajoutent, ce qui pourrait inquiéter les salariés, que la réforme a d'autant plus de chances de créer des emplois que les entreprise ont plus besoin de flexibilité.
Ils concluent qu'il serait plus efficace de réduire la complexité de la procédure de licenciement et de l'accompagner d'une amélioration des indemnités des salariés licenciés. Ce qui est une thèse qu'ils ont défendue dans plusieurs autres papiers.
La qualité de leur prédiction dépend naturellement de la validité de leur modèle. J'imagine qu'on peut le contester.

Les deux modèles d'intégration

On a depuis quelques mois tendance en France à rêver du modèle communautaire à l'anglo-saxonne (on le trouve aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne mais aussi aux Pays-Bas et, pour partie, en Allemagne) que l'on oppose au modèle d'intégration à la française. Il serait, nous dit-on, plus efficace et mieux adapté. Voire…

Ce modèle communautaire conduit à créer des quartiers homogènes : pakistanais, turcs, chinois, vietnamiens… comme on en voit dans les villes britanniques et américaines. Il favorise le maintien de la langue et des traditions et autorise le développement d'institutions communautaires qui sont en général de deux types :
- institutions politiques (responsables d'associations, autorités religieuses) qui peuvent dialoguer avec les pouvoirs publics qui souvent leur délèguent une partie de leurs missions ;
- armées privées que les communautés développent pour se protéger des intrusions étrangères et pour élargir leur territoire lorsque nécessaire. Ces armées se financent en général par le racket sur la population qu'elles sont censées protéger et par des activités illégales. La mafia italienne est l'exemple même de ces armées privées.

Ce modèle autorise la délégation de gestion, il assure éventuellement une certaine discipline dans les quartiers (les mafias jouent parfois ce rôle), mais il favorise également les conflits intercommunautaires et le racisme. Ce n'est sans doute pas un hasard s'il ne se passe pas de semaine sans que la presse britannique ne fasse état de crimes de haine, racistes…

Nous avons choisi en France un tout autre modèle qui mélange les gens d'origine les plus différentes. On trouve dans les mêmes barres d'immeubles jusqu'à 30 ou 40 nationalités différentes. Ce choix (mais faut-il parler de choix?) tient à des motifs complexes liés à notre histoire, au droit du sol, à la qualité des services publics (qui rend inutiles des services privés et rend plus difficile le développement d'institutions communautaires), à l'existence, dans Paris et la région parisienne, de quartiers qui depuis des décennies reçoivent les immigrants, d'abord de l'intérieur puis de l'extérieur. Reste que ce modèle conduit à des modes d'intégration complètement différents avec des problèmes qui le sont également.

Dans les systèmes communautaires, les jeunes restent éduqués dans la culture de leurs parents. Si conflits il y a entre la culture de leurs parents et celle de la société d'accueil, ils sont tardifs. Dans notre système, les jeunes sont dès leur plus jeune âge confrontés à des systèmes éducatifs différents, ils peuvent jouer de ces différences pour prendre de la liberté. Ils sont très tôt, bien plus tôt que les enfants élevés dans des milieux homogènes, amenés à choisir entre différentes options (faire ses devoirs/jouer avec ses camarades ; parler bien/parler mal…). Ce système a des avantages : il évite les confits interraciaux, les bandes ethniques qui n'existent pratiquement pas chez nous, il freine (ou interdit) la création de ces armées privées qui se transforment rapidement en mafias. Mais il force les enfants à faire très vite des choix difficiles. Et pour ceux qui ne font pas les bons choix… c'est la galère, l'exclusion scolaire et de grandes difficultés, surtout lorsque le monde du travail n'est pas là pour repêcher ceux qui, l'âge venant, tentent de se poser.

Ces deux modèles sont tellement différents que l'on ne voit pas comment on pourrait rapidement passer de l'un à l'autre. On peut parler, rêver de communautés, c'est ce que fait Sarkozy, mais il y a peu de chances qu'on aboutisse. Le mélange de populations rend très improbable la création d'institutions auxquelles les pouvoirs publics pourraient déléguer une partie de leurs missions. Si solution il y a, il faut la chercher au coeur même de notre modèle et non en cherchant à importer artificiellement ce qui ne marche pas forcément très bien ailleurs.

Un site sur le CPE

Je voudrais signaler à ceux que cela intéresse un excellent sur l'actualité du CPE L'actualité du CPE

Casseurs & anti-CPE, pas vraiment même combat

On devine chez beaucoup de commentateurs la tentation de rapprocher les manifestations anti-CPE d'aujourd'hui du mouvement des banlieues de novembre dernier. Le sociologue François Dubet parlait il y a quelques jours de réplique. Ces mouvements se font naturellement sur même fond de chômage, de fin de règne d'un pouvoir dont les modes de prise de décision ne sont plus adaptés. Mais les confondre serait une erreur. Ces deux mouvements obéissent à des logiques différentes.
Le mouvement des étudiants et lycéens a des objectifs, des porte-parole, en un mot une approche politique de la situation. La révolte des banlieues se situait dans une logique différente : sans revendications ni leaders, les jeunes de novembre dernier, ceux de ces jours-ci ne manifestent pas, ils se battent, agressent les manifestants, les policiers, mettent le feu à des voitures. Ils n'ont aucune revendication affichée, aucun leader ni porte-parole et pas d'autre ambition que de multiplier les "exploits" (pavé lancé sur un flic, vitrine brisée, téléphone portable volé…).
Comme je le disais dans un précépent post, ces deux mouvements peuvent se soutenir mutuellement : la crainte d'une nouvelle explosion des banlieues peut amener les pouvoirs publics à reculer sur le CPE (c'est, en tout cas, ce que demandent les Présidents d'universités et les proviseurs) ; la crainte d'une bavure qui frapperait un lycéen peut inciter les policiers à agir avec mesure contre les casseurs. Mais ils sont très différents. Et doivent être traités à part.
Le problème des jeunes de banlieue est, pour l'essentiel, lié à l'exclusion scolaire, à l'incapacité du système scolaire à insérer une partie de la jeunesse pauvre dans un parcours qui leur permette d'envisager avec un peu de bon sens les risques qu'ils prennent en s'en prenant à des vitrines, à des policiers, à d'autres jeunes…
Celui des anti-CPE est lié au marché du travail, à l'incapacité du monde économique à accueillir dans des conditions acceptables les jeunes sortis du système scolaire.

Essayer le CPE? drôle d'argument!

L'argument que développent le plus souvent les partisans du CPE, est, je cite un de mes lecteurs : "Par ailleurs les autres contrats (cdi, cdd) demeurent alors testons le CPE d'autant plus qu'en contrepartie de cette période de flexibilité pour l'entreprise (qui n'a notons le aucun intérêt à licencier tous les 10 jours !!!!) le droit au chômage est possible dès le 4e mois et le droit à la formation dès le 1er mois. " En d'autres mots : on n'a pas grand chose à perdre!
Ce qui est une étrange manière de raisonner.
Si le CPE était véritablement un produit convaincant, ses avocats trouveraient de meilleurs arguments que celui-ci qui sent sa dernière chance et rappelle ceux de ces malades en fin de vie qui se disent : je peux essayer ce traitement, puisque je suis de toutes manières condamné, cela ne peut pas être pire…

En fait, les avocats du CPE pourraient en développer un plus convaincant. Ils pourraient dire : les obstacles au licenciement freinent les recrutements, en les supprimant on réduira chômage. Mais cet argument (contestable, mais c'est une autre affaire) vaut pour tout le monde, pour les jeunes diplômés et pour ceux qui sont sortis du système scolaire sans rien, pour les jeunes et les vieux. Le soutenir serait donc annoncer la suppression de tout ou partie des obstacles au licenciement pour tous les salariés, ce qui serait susciter une colère généralisée que le gouvernement ne peut se permettre à quelques mois d'une élection présidentielle.

J'ajouterai, chose peu signalée, que cet accès au chômage dés le quatrième mois que l'on nous présente comme une avancée significative est étrange et probablement contre-productive. C'est comme si l'on affichait qu'accéder au monde du travail, c'est accéder au droit au chômage! Ce qui n'est pas forcément faux, mais tout de même. Comment veut-on convaincre les jeunes de la bonne foi des entreprises et de la fin de la précarité en leur promettant des allocations chômage?

23 mars 2006

Les banlieues au secours des anti-CPE?

Lorsque l'on se bat, on tente en général de consttruire un rapport de forces qui vous est favorable. Dans le cas du CPE, on voit se dessiner une configuration toute différente et originale : les jeunes casseurs des banlieues viennent au secours des jeunes qui luttent contre le CPE, non pas en unissant leurs forces à celles des étudiants et lycéens, mais au contraire, en se comportant en casseurs, en s'opposant à un mouvement que tous ses animateurs et acteurs (lycéens, étudiants…) veulent non-violents (et à juste titre : en casser des vitrines ou mettre le feu à des voitures peut-il aider à faire reculer le gouvernement?). D'ordinaire les gouvernements utilisent les casseurs pour déconsidérer leurs opposants. Cette fois-ci, ce n'est pas le cas. Sans doute parce que Nicolas Sarkozy qui a senti le danger de voir toute la jeunesse se détourner de lui au moment des élections présidentielles a choisi de faire la disinction. Sans doute aussi parce que l'Education Nationale (les recteurs, les proviseurs) qui est en ces matières en première ligne est saisie d'une espèce de peur panique (on ferme des lycées de crainte d'incidents là où la probabilité d'incidents est très faible).
On peut donc penser que le gouvernement ne va pas (au moins officiellement) céder à la pression de la rue, mais à la crainte de voir revenir les émeutes, de voir se développer des violences à la porte des lycées entre jeunes anti-CPE sages et vilains casseurs des banlieues. On nous expliquera que c'est pour assurer l'ordre public, pour éviter que les banlieues ne s'enflamment à nouveau qu'il va retirer son projet ou le vider de tout contenu.

16 mars 2006

Les banlieues et le CPE

Les avocats du CPE que la montée de la contestation étudiante met sur la défensive tentent de distinguer étudiants et jeunes sans qualification. Le CPE ne concerne pas vraiment les premiers, disent-ils, mais plutôt les seconds qu'il devrait aider à entrer sur le marché du travail.
Ces arguments ne font pas l'unanimité dans les banlieues si l'on en juge parce qu'en disent les jeunes interrogés ce matin (édition du 16 mars) par Libération. "A la Mission locale pour l'emploi d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), où 75 % des gens ont «au maximum un niveau BEP», le CPE c'est d'abord du charabia" écrit Didier Arnaud. On le devine aisément, mais qu'en est-il vraiment? Le CPE peut-il aider les jeunes sans qualifications à trouver un emploi? La question mérite d'être examinée d'un peu plus près. D'autant qu'on le sait, le chômage touche 40% de ces jeunes.
L'argument des avocats du CPE est qu'au fond, les entreprises qui recrutent des diplômés prennent le temps, dépensent de l'argent pour trouver les meilleurs candidats et n'ont, du coup, aucun intérêt à leur proposer un contrat qui n'est pas très avantageux. C'est sans doute vrai pour les diplômes rares, pour les élèves qui sortent des meilleures écoles d'ingénieur ou de commerce, l'est-ce pour ceux qui ont des bacs + 4 dont personne ne veut vraiment? Ce serait à vérifier. Mais on peut douter que les patrons qui ont en face d'eux des candidats qui rament depuis des mois pour trouver un emploi se privent des facilités que ce nouveau contrat leur donne.
Les avocats du CPE sont plus discrets sur les mécanismes qui pourraient en faire un outil pour redonner de l'emploi aux jeunes sans qualifications. C'est dommage. Parce qu'il serait intéressant de comprendre. L'idée derrière le CPE est que les entreprises ne recrutent pas de crainte de ne pouvoir licencier. Or, cette crainte n'a de sens que dans deux cas de figure :
- lorsque le chef d'entreprise doute de son avenir : "ce n'est pas raisonnable de recruter aujourd'hui alors que je ne pourrai peut-être pas demain lui donner de travail",
- lorsque le chef d'entreprise hésite sur son jugement : "suis-je capable de sélectionner les bons candidats, ceux qui ont envie de travailler, d'apprendre, de faire des efforts?"
Le premier cas vaut pour tous, les jeunes comme les moins jeunes, les diplômés comme les autres (et c'est bien pourquoi on peut douter de l'argument qui voudrait réserver le CPE aux jeunes sans qualification).
Le second vaut plus pour les jeunes sans qualification que pour les autres. Le patron qui recrute un bac+4 sait qu'il dispose de certaines compétences intellectuelles, qu'il est capable de faire des efforts et de travailler : sinon, il n'aurait tout simplement pas obtenu ses diplômes. Il ne sait rien de tel pour les jeunes qui ont quitté l'école sans le moindre titre. Il n'a, dans leur cas, pas d'autre solution que d'essayer. C'est bien pourquoi il a besoin d'une période d'essai. Mais, comme l'ont souligné de nombreux responsables des ressources humaines, a-t-on vraiment besoin de deux ans pour se faire une opinion? Quelques jours, quelques semaines au plus suffisent.
Si l'on s'en tient donc à ces arguments, le CPE ne vaut pas grand chose. Il devrait même, comme le disent les étudiants, augmenter la précarité de ceux qui auraient autrement trouvé un emploi en CDI.
Mais cela amène une autre question. Les jeunes qui entrent sur le marché du travail sont-ils aujourd'hui recrutés avec des CDI? La réponse est, malheureusement, plus souvent : non. Le CPE peut-il remplacer ces formes plus traditionnelles de précarité? Si c'était le cas, si les employeurs le préféraient au CDD et à l'intérim, ce serait sans doute un progrès. CDD et intérim sont des contrats de travail à échéance, dans lesquelles la rupture est programmée. Le salarié qui arrive en fin de contrat n'a rien à dire : il doit partir. Et même si sa hiérarchie directe est satisfaite de lui, elle ne peut pas faire grand chose. Elle peut tout au plus demander à la Direction des Ressources Humaines de lui proposer un nouveau CDD. Mais on sait qu'on ne peut les multiplier. Avec le CPE, il en irait sans doute autrement. Au bout de deux ans, la transition se ferait discrètement, insensiblement, sans que personne ne s'en rende compte. Ce serait donc un progrès, mais un petit progrès. Si emplois créés il y a, ils se feraient sur ces CDD qu'on regrette de voir partir, qu'on aurait gardé si… Autrement dit : le CEP n'a d'intérêt que s'il se substitue au CDD. Il aurait été tellement plus simple de supprimer ce contrat qui contribue directement au chômage des jeunes et moins jeunes. Et l'on aurait évité cette absurdité qu'est un licenciement sans motif ni entretien préalable. Comment peut-on justifier qu'un employeur qui se sépare d'un salarié ne le recoive pas pour lui expliquer ses raisons?
Je traite plus en détail du CPE dans cette chronique radiophonique.