Un blog créé à l'occasion de la sortie de mon livre Banlieues, insurrection ou ras le bol, pour discuter de ce qui s'est passé en novembre 2005

29 janvier 2006

Le confusionnisme d'Arno Klarsfeld

Le Monde vient de publier une libre opinion d'Arno Klarsfeld qui est une illustration du confusionnisme qui a saisi un certain nombre de nos intellectuels dès que l'on parle de l'histoire.
Le Monde.fr : L'histoire n'appartient pas aux historiens, par Arno Klarsfeld
Dans ce papier qui traite des lois sur l'aspect positif de la colonisation et qui prend position en faveur du texte discuté, nous explique sucessivement :
- "Les historiens n'écrivent pas l'histoire. Les hommes, les peuples font l'histoire ; les historiens se contentent d'écrire sur l'histoire." Ce qui est évidemment absurde : si les peuples font l'histoire, si éventuellement, ils s'en fabriquent une, multiple et fragmentée, à coups de mémoires, c'est bien aux historiens qu'il revient de l'écrire, c'est-à-dire tout à la fois de prendre le temps de l'examiner, de l'analyser avant de l'écrire, et de la figer dans des textes qui ont valeur scientifique, ce qui veut tout à la fois qu'ils prétendent dire la vérité et qu'ils peuvent être contestés au nom même de la vérité ;
- un peu plus loin, il confond histoire, commémoration et indemnisation des victimes. S'il revient aux élus d'organiser les commémorations, on ne saurait confondre celles-ci avec l'écriture de l'histoire. Les commémorations sont une manière pour un peuple de se construire un Panthéon, de se fabriquer des héros et de leur rendre hommage. Les historiens peuvent faire l'histoire de ces commémorations (certains s'y sont d'ailleurs attachés), mais organiser des commémorations, ce n'est pas écrire l'histoire ;
- plus loin, à propos de la loi Gayssot, il écrit qu'elle "ne restreint pas la liberté d'opinion car le négationnisme constitue une agression contre l'histoire." Là encore erreur et confusion. La loi Gayssot restreint bien la liberté d'opinion puisqu'elle interdit de défendre le négationnisme qui est une opinion, qui n'est, d'ailleurs, que cela. Et c'est en ce sens que la loi Gayssot ne restreint pas la liberté de l'historien. Elle interdit simplement à quelques néo-nazis et anti-sémites de faire leur propagande, ce qui est tout différent.
Il conclut, enfin, sur l'article 4 de la loi du 23 février qui dispose que "les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord" et "accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit". Et il lui reproche de ne pas être équilibré, de n'évoquer que "le seul rôle positif de la présence française sans rappeler ce que furent les méfaits considérables de la colonisation". Ce qui, en gros, veut dire que le législateur aurait du écrire : "les programmes scolaires reconnnaissent le rôle complexe de la présence française outre-mer". On a envie de dire : bien sûr! c'est ce que devraient faire les programmes scolaires. C'est, sans doute, d'ailleurs, ce qu'ils font. Mais pourquoi faudrait-il que le législateur intervienne sur ce sujet plus que sur mille autres en histoire comme dans d'autres disciplines? Il suffit seulement de demander aux enseignants, aux rédacteurs des programmes et des manuels de traiter des sujets qu'ils abordent de la manière la plus approfondie et la plus sérieuse possible en fonction des avancées les plus récentes de la science.
Il y a, je crois, dans tout cela, une confusion majeure sur le rôle de l'école : les enseignants sont là pour enseigner à raisonner, à penser, à faire la différence entre le vrai et le faux, en un mot à être libre. Et c'est le rôle du Parlement que d'organiser l'école de manière à ce qu'elle nous enseigne cela. Ce n'est certainement pas le sien de nous dire ce qu'est la vérité. Cela, c'est celui des scientifiques, des historiens, des mathématiciens, des physiciens, des biologistes… et d'eux seuls. Et s'il arrive qu'ils changent d'avis (et c'est ce qu'ils font régulièrement dans toutes les disciplines), c'est bien la preuve que la vérité ne relève pas de la loi mais d'un travail continu de vérification. Quand on pense à ces sujets, il faut se souvenir de Popper et de ce qu'il disait de la preuve scientifique qui n'est scientifique que parce que l'on peut la réfuter.

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