J'ai tourné ma langue (ou plutôt ma plume) plusieurs fois dans l'encrier avant de réagir aux propos de Ségolène Royal. Autant le dire : je l'ai d'autant plus tournée (cette langue ou cette plume, au choix) que j'étais gênée. J'ai plutôt de la sympathie pour sa candidature, pour la manière dont elle est partie seule (ou presque) à l'assaut des éléphants, dont elle tente de les contourner, mais ses propositions ne sont pas de celles qui me seraient spontanément venues à l'esprit (et c'est un euphémisme!).
Je commencerai par ce qu'elle dit des 35 heures, parce que c'est plus facile : sur le fond, elle a raison, elle ne dit que ce que disent depuis longtemps tous ceux qui ont regardé l'impact de la RTT sur les conditions de travail (à commencer par moi-même dans plusieurs interventions publiques) : excellent pour les cadres, bien moins bon pour les ouvriers et pour tous ceux qui travaillent dans des entreprises qui restent ouvertes tard le soir, le samedi ou le dimanche. Dire, pour autant, qu'elle torpille les 35 heures, comme je l'ai lu un peu partout, est absurde.
Assurer, comme l'ont affirmé plusieurs responsables socialistes et UMP, qu'elle fait le jeu de la droite est tout simplement une contre-vérité : la droite veut supprimer les 35 heures parce qu'elles vont contre la liberté des patrons d'organiser comme ils l'entendent le travail dans leurs entreprises. Cela n'a rien à voir avec ce que dit Ségolène Royal qui sonne juste aux oreilles de beaucoup de salariés.
Mais venons-en à ses propos sur la jeunesse délinquante. Je ne partage pas bien évidemment pas ses vues et de loin s'en faut, mais son intervention a fait bouger les lignes et, sans doute, de manière subtile modifié la nature du débat.
Elle a, d'abord, montré que ces propositions (et, au delà, ce qu'elles suggèrent de fermeté à l'égard des délinquants) sont en phase avec l'opinion. Venues d'une politique qui veut gagner une élection présidentielle, elles ne sont donc pas absurdes même si cette opinion (et c'est le défaut des sondages) ne se confond pas avec l'électorat de gauche dont une partie est sans doute soulagée de voir une candidate tenir des propos qui la rassurent, mais une autre partie choquée (horrifiée, scandalisée…).
Il serait, naturellement, intéressant de savoir qui sont ces "choqués".
Laurent Joffrin et, avec lui, beaucoup de journalistes, seront tentés de les identifier à ce qu'il appelle la "gauche caviar" qui, nous a-t-il dit un soir de débat à la télévision, a échangé les ouvriers contre les immigrés (remarque qui en dit long sur l'ignorance de Joffrin. S'il se promenait dans les usines, il saurait que la classe ouvrière est aujourd'hui composée, pour l'essentiel, d'immigrés ou d'enfants d'immigrés qui ont un bac + 2 mais ne trouvent pas de travail ailleurs du fait des discriminations. Voir, par exemple, les effectifs de Peugeot dans son usine de Poissy).
Je crois, et c'est plus embêtant pour Ségolène Royal, que ces "choqués" sont le plus souvent des jeunes. Plus proches des jeunes des cités qu'ils côtoient et connaissent, ils les comprennent mieux et sont plus sensibles que les adultes aux difficultés qu'ils rencontrent et aux excuses qu'ils peuvent avoir. Ses propos "militaristes" pourraient, si elle ne les fait pas évoluer, détourner d'elle une partie de ces électeurs.
Mais j'en viens au fond. Les mieux en mesure de juger de la pertinence de ses propositions sont les parents des enfants menacés de verser dans la délinquance. Ses propositions (ou d'autres similaires) peuvent-elles les aider à les éduquer, à leur éviter le cycle infernal qui conduit à la galère quand ce n'est pas à la prison?
A défaut de sondages qu'on aimerait avoir (que pense-t-on dans les cités, dans les zones qui les entourent de ces propositions?), on peut raisonner. De quoi a besoin une famille dont les enfants sont sur la mauvaise pente? D'au moins trois choses :
- d'informations précoces, de signaux, de mise en garde : "Attention, il file un mauvais coton!" Les familles en ont d'autant plus besoin qu'elles sont souvent les dernières informées. Résultat, elles tombent des nues lorsque leur gamin est mis en difficulté ;
- de solutions entre lequelles choisir pour tenter de régler le problème. Aujourd'hui, on ne propose le plus souvent aux enfants en difficultés que l'intervention d'un psychologue. Ce n'est pas suffisant et surtout pas très efficace : les enfants apprennent vite à manipuler les psychologues et à s'en faire des alliés contre leur famille et les institutions ;
- de soutiens qui les aident dans ces périodes difficiles pour celles qui hésitent sur les conduites à tenir.
Les solutions que propose Ségolène Royal ne sont certainement pas à la hauteur. Si j'étais méchant, je dirais qu'elle a remis au goût du jour la très vieille menace maternelle : "Si tu ne travailles pas à l'école, nous t'enverrons en pension!" Menace dont tous les enfants savent qu'elle a peu de chance d'être mise à exécution. Ce qui les autorise à ne pas en tenir compte.
Je disais que les déclarations de Ségolène Royal ont fait bouger les lignes. Il serait maintenant temps qu'à gauche on s'en saisisse pour proposer des solutions qui ne soient pas celles, caricaturales, de l'internat militaire.
Un blog créé à l'occasion de la sortie de mon livre Banlieues, insurrection ou ras le bol, pour discuter de ce qui s'est passé en novembre 2005
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2 commentaires:
Votre analyse est intéressante. J'ajouterai deux remarques: concernant la déliquance, il faut rappeler que les propositions de Ségolène Royal s'appuient sur un constat, celui de la "faillite totale" de Nicolas Sarkozy. Ce point mérite d'être commenté. Si le gouvernement a réussi, alors, inutile de faire de nouvelles propositions.
D'une certaine façon, Ségolène Royal a exprimé une vérité que beaucoup voudraient pouvoir dire: alors que Nicolas Sarkozy est présenté comme Monsieur Sécurité, il n'a rien réussi de mieux que de souffler sur les braises et de contribuer à déclencher des émeutes célèbres partout dans le monde...
Deuxième remarque: pourquoi ne pas commenter précisément les propositions de Ségolène Royal? Vous vous contentez de remarques générales.
Par exemple: "Au premier acte de délinquance (des mineurs) pourquoi ne pas leur offrir - et je tiendrai bon - des solutions alternatives à la prison, expérimentées à petite échelle"
Cette mesure (oublions le mot "militaire" qui est choquant) se veut une alternative à la prison. Il me semble qu'il s'agit d'une solution en accord avec les idées de gauche. Eviter la prison me semble, en effet, un objectif très louable. Le jeune qui commet des actes de délinquance, vous le savez, est un jeune qui souffre et souvent qui est en révolte par rapport à son milieu familial. Quand le passage à l'acte délictueux à lieu, il faut tout faire pour éviter l'engrenage: prison, rencontre de délinquants chevronnés, récidive...
Mais le sujet est trop grave et je souhaite que les personnes qui travaillent sur le terrain continuent à apporter des idées pour améliorer les choses par le dialogue des uns et des autres.
« Ce ne sont pas des gamins de 12 ans qui vont faire la loi dans le pays. Ni à l’école. Ni dans leur famille, ni dans le quartier. L’avant-garde de mon projet c’est l’éducation, l’éducation et encore l’éducation. C’est entre deux et trois ans qu’on inculque le respect de l’autorité. Et la première, la plus petite transgression, doit être sanctionnée. Je ne parle pas de police ou de justice mais de travaux d’intérêt général. Quand on dégrade une école, un abribus, pour un tag par exemple, il doit y avoir réparation ».
Si j'en crois les dernières déclarations de Mme Royal, il y aura de la repression. Quand à la prévention, elle a sa solution:"L'éducation, l'éducation et encore l'éducation". J'aurais souhaité qu'elle détaille ce dernier point...
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