Un blog créé à l'occasion de la sortie de mon livre Banlieues, insurrection ou ras le bol, pour discuter de ce qui s'est passé en novembre 2005

16 mars 2006

Les banlieues et le CPE

Les avocats du CPE que la montée de la contestation étudiante met sur la défensive tentent de distinguer étudiants et jeunes sans qualification. Le CPE ne concerne pas vraiment les premiers, disent-ils, mais plutôt les seconds qu'il devrait aider à entrer sur le marché du travail.
Ces arguments ne font pas l'unanimité dans les banlieues si l'on en juge parce qu'en disent les jeunes interrogés ce matin (édition du 16 mars) par Libération. "A la Mission locale pour l'emploi d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), où 75 % des gens ont «au maximum un niveau BEP», le CPE c'est d'abord du charabia" écrit Didier Arnaud. On le devine aisément, mais qu'en est-il vraiment? Le CPE peut-il aider les jeunes sans qualifications à trouver un emploi? La question mérite d'être examinée d'un peu plus près. D'autant qu'on le sait, le chômage touche 40% de ces jeunes.
L'argument des avocats du CPE est qu'au fond, les entreprises qui recrutent des diplômés prennent le temps, dépensent de l'argent pour trouver les meilleurs candidats et n'ont, du coup, aucun intérêt à leur proposer un contrat qui n'est pas très avantageux. C'est sans doute vrai pour les diplômes rares, pour les élèves qui sortent des meilleures écoles d'ingénieur ou de commerce, l'est-ce pour ceux qui ont des bacs + 4 dont personne ne veut vraiment? Ce serait à vérifier. Mais on peut douter que les patrons qui ont en face d'eux des candidats qui rament depuis des mois pour trouver un emploi se privent des facilités que ce nouveau contrat leur donne.
Les avocats du CPE sont plus discrets sur les mécanismes qui pourraient en faire un outil pour redonner de l'emploi aux jeunes sans qualifications. C'est dommage. Parce qu'il serait intéressant de comprendre. L'idée derrière le CPE est que les entreprises ne recrutent pas de crainte de ne pouvoir licencier. Or, cette crainte n'a de sens que dans deux cas de figure :
- lorsque le chef d'entreprise doute de son avenir : "ce n'est pas raisonnable de recruter aujourd'hui alors que je ne pourrai peut-être pas demain lui donner de travail",
- lorsque le chef d'entreprise hésite sur son jugement : "suis-je capable de sélectionner les bons candidats, ceux qui ont envie de travailler, d'apprendre, de faire des efforts?"
Le premier cas vaut pour tous, les jeunes comme les moins jeunes, les diplômés comme les autres (et c'est bien pourquoi on peut douter de l'argument qui voudrait réserver le CPE aux jeunes sans qualification).
Le second vaut plus pour les jeunes sans qualification que pour les autres. Le patron qui recrute un bac+4 sait qu'il dispose de certaines compétences intellectuelles, qu'il est capable de faire des efforts et de travailler : sinon, il n'aurait tout simplement pas obtenu ses diplômes. Il ne sait rien de tel pour les jeunes qui ont quitté l'école sans le moindre titre. Il n'a, dans leur cas, pas d'autre solution que d'essayer. C'est bien pourquoi il a besoin d'une période d'essai. Mais, comme l'ont souligné de nombreux responsables des ressources humaines, a-t-on vraiment besoin de deux ans pour se faire une opinion? Quelques jours, quelques semaines au plus suffisent.
Si l'on s'en tient donc à ces arguments, le CPE ne vaut pas grand chose. Il devrait même, comme le disent les étudiants, augmenter la précarité de ceux qui auraient autrement trouvé un emploi en CDI.
Mais cela amène une autre question. Les jeunes qui entrent sur le marché du travail sont-ils aujourd'hui recrutés avec des CDI? La réponse est, malheureusement, plus souvent : non. Le CPE peut-il remplacer ces formes plus traditionnelles de précarité? Si c'était le cas, si les employeurs le préféraient au CDD et à l'intérim, ce serait sans doute un progrès. CDD et intérim sont des contrats de travail à échéance, dans lesquelles la rupture est programmée. Le salarié qui arrive en fin de contrat n'a rien à dire : il doit partir. Et même si sa hiérarchie directe est satisfaite de lui, elle ne peut pas faire grand chose. Elle peut tout au plus demander à la Direction des Ressources Humaines de lui proposer un nouveau CDD. Mais on sait qu'on ne peut les multiplier. Avec le CPE, il en irait sans doute autrement. Au bout de deux ans, la transition se ferait discrètement, insensiblement, sans que personne ne s'en rende compte. Ce serait donc un progrès, mais un petit progrès. Si emplois créés il y a, ils se feraient sur ces CDD qu'on regrette de voir partir, qu'on aurait gardé si… Autrement dit : le CEP n'a d'intérêt que s'il se substitue au CDD. Il aurait été tellement plus simple de supprimer ce contrat qui contribue directement au chômage des jeunes et moins jeunes. Et l'on aurait évité cette absurdité qu'est un licenciement sans motif ni entretien préalable. Comment peut-on justifier qu'un employeur qui se sépare d'un salarié ne le recoive pas pour lui expliquer ses raisons?
Je traite plus en détail du CPE dans cette chronique radiophonique.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Le chômage des - de 26 ans sans qualifications est actuellement de 40% : c'est dire à quel point ils sont aujourd'hui dans une situation de précarité insupportable sans beaucoup d'espoir d'un avenir meilleur. Le CPE est pour eux une chance car il leur permettra de démontrer que malgré leur bagage limité, ils peuvent faire de l'excellent boulot.

Par ailleurs les autres contrats (cdi, cdd) demeurent alors testons le CPE d'autant plus qu'en contrepartie de cette période de flexibilité pour l'entreprise (qui n'a notons le aucun intérêt à licencier tous les 10 jours !!!!) le droit au chômage est possible dès le 4e mois et le droit à la formation dès le 1er mois.