Un blog créé à l'occasion de la sortie de mon livre Banlieues, insurrection ou ras le bol, pour discuter de ce qui s'est passé en novembre 2005

19 janvier 2007

Respect

Le respect revient si souvent dans les conversations des jeunes des cités qu'il convient d'y voir une des composantes majeures du lien social dans ces sociétés.

Certains auteurs (ceux, par exemple, de l'étude du CAE sur les émeutes à Aulnay-sous-Bois) l'attribuent à une tradition méditerranéenne. Thèse qui perd de sa pertinence lorsque l'on sait que le respect strucure également les sociétés de jeunes venus d'autres horizons, notamment d'Afrique sub-saharienne. Ce qui incite à rechercher des explications et interprétations du coté des sociétés de jeunes.

Le respect peut y être assimilé à un capital social. Celui que l'on respecte a une certaine autorité (voire une autorité certaine) sur son entourage, il peut protéger ses proches (sa famille, ses amis, ses clients) des attaques de ceux qui le respectent, il bénéficie enfin d'un certain calme : on ne s'attaque pas à celui que son entourage respecte.

Ce capital n'est pas donné de naissance, il est conquis de haute lutte. Comme tout capital, il peut être acquis de deux manières : il peut être conquis ou hérité.

Il est conquis lorsque celui qui en bénéficie réussit à s'imposer, dans des combats singuliers avec les membres de son groupe ou, plus souvent, des étrangers. Il est hérité lorsque les contacts du sujet, ses relations avec des dealers, la prison… lui apportent un plus symbolique.

Les combats singuliers avec les membres du groupe ou des étrangers rappellent le combat du maître et de l'esclave de Hegel : l'emporte celui qui risque sa vie. Se battre contre un membre de son groupe ou un étranger n'est évidemment pas tout à fait la même chose :

- les combats entre membres du groupe sont potentiellement destructeurs : ils peuvent mettre en cause sa hiérarchie interne, ils sont donc le plus souvent évités ou euphémisés (les insultes rituelles que personne ne prend mal en tiennent lieu) ;

- les combats peuvent prendre les formes les plus variées, de l'insolence à l'égard de l'adulte jusqu'à l'agression. Ils mettent le groupe à l'abri de la destruction, ils en font un spectateur qui juge et applaudit les plus audacieux. Ils sont générateurs de récits que l'on peut enjoliver et permettent de se comparer à d'autres groupes lointains ou que l'on ne souhaite pas affronter directement : les compétitions en (mauvaise) réputation des cités participent de ces affrontements avec les adultes et les institutions.

Le respect dans les groupes de jeunes n'est, sur le fond, pas très différent que celui que l'on rencontre ailleurs dans la société mais il y joue un rôle bien plus important. Tout se passe comme s'il était ce qui structure le groupe alors que les sociétés plus classiques font appel à d'autres formes de capital (capital économique, intellectuel, scolaire…). C'est, au fond, le seul capital des jeunes les plus démunis. Un capital qu'ils constituent eux-mêmes. Un capital le plus souvent fragile qu'ils doivent en permanence protéger, renforcer, compléter. Les violences verbales à l'égard des étrangers, les insolences, bousculades, insultes, violences aux personnes… sont autant de manières d'accumuler ce capital.

Le renforcement de ce capital est d'autant plus important que les groupes de jeunes sont instables. Les hiérarchies y sont, du fait même de l'âge (on n'a pas longtemps 15 ou 16 ans) précaires. Le jeune qui a acquis un statut dans son groupe doit, s'il veut s'imposer dans le groupe de la classe d'âge supérieure, s'imposer et conquérir de nouveau le respect.

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